François Bayrou, maire et premier ministre, ou le retour d’une vieille tradition interrompue de «cumul des mandats»

«On s’est trompé en (rendant) incompatibles les responsabilités locales et nationales (...) Pour les membres du gouvernement, c’est autorisé, pour les parlementaires, non. Je pense qu’il faut que ce débat soit repris». Ainsi François Bayrou a-t-il justifié lundi soir son souhait de garder son fauteuil de maire de Pau en même temps que son poste de premier ministre. Le locataire de Matignon a qualifié «d’erreur» la règle sur le cumul des mandats établie sous la présidence de François Hollande, précisant qu’il poserait cette question dans son discours de politique générale. 

Une décision qui a suscité de vives controverses jusque dans son bord politique : Yaël Braun-Pivet aurait ainsi «préféré que le premier ministre prenne l’avion pour Mamoudzou» dans une Mayotte dévastée par le cyclone Chido, «au lieu de prendre un avion pour Pau», déploré la présidente de l’Assemblée nationale à France-Info. 

Concrètement, rien n’interdit en effet à François Bayrou de rester maire. L’article 23 de la Constitution de 1958 interdit effectivement à un membre du gouvernement de cumuler la casquette de mandat parlementaire, «de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle». À cet article s’ajoutent les lois de 2014, qui élargissent considérablement les cas d’incompatibilités. Elles interdisent le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, mais elles n’évoquent en revanche pas le cas d’un ministre membre d’un exécutif comme une mairie, un conseil départemental ou régional. Dans les faits, la seule interdiction à laquelle doivent se soumettre les membres du gouvernement vaut pour les mandats de sénateurs et de député.

«Réenraciner les responsabilités politiques dans les villages»

Jusqu’à la promulgation de la législation de 2014, la France faisait effectivement figure d’exception en Europe concernant cette règle, se démarquant même comme le pays de la «culture du cumul» très marquée. «En 2012, 476 députés sur 577 (82 %) et 267 sénateurs sur 348 (77 %) étaient en situation de cumul», rappelle même à cet effet le site Vie Publique. Et François Bayrou, lui, veut s’inscrire dans cette dynamique historique. «Il faut réenraciner les responsabilités politiques, dans les villages, les quartiers, les villes», insistait-il à ce propos lundi, en énumérant plusieurs anciens locataires de Matignon. 

Sur l’ensemble des premiers ministres de la Ve République, 11 étaient maires au moment de leur nomination, hors François Bayrou. Huit ont choisi de conserver leur poste de maire. De 1981 à 1984, Pierre Mauroy fut à la fois premier ministre et maire de Lille. Entre 1986 et 1988, Jacques Chirac cumula les fonctions de chef du gouvernement et de maire de Paris. À peine nommé premier ministre en 1995, Alain Juppé devint maire de Bordeaux. Puis en 1997, Lionel Jospin, arrivé à Matignon, entreprit de combattre cet usage afin de «moderniser la vie politique française». Dès la formation de son gouvernement, ce dernier invita ses ministres à céder progressivement leurs fonctions exécutives locales. Ce à quoi obéit Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur à l’époque, qui abandonna ainsi son fauteuil de maire à Belfort. 

Jacques Chirac, réélu en mai 2002, reprit à son compte la règle édictée par Jospin tout en admettant certaines dérogations. Les ministres Hubert Falco et Marie-Josée Roig furent ainsi autorisés à demeurer respectivement maire de Toulon et d’Avignon. Affaibli finalement par la large victoire du «non» lors du référendum du 29 avril 2005, Jacques Chirac dut ensuite accepter que Nicolas Sarkozy redevienne ministre de l’Intérieur tout en conservant la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine. 

L’ancien chantre du non-cumul des mandats

Les lois adoptées en 2014 marquent donc une rupture et cherchent à mettre fin à cette «spécificité française». Les prédécesseurs de François Bayrou à Matignon ont d’ailleurs choisi d’abandonner leur fauteuil d’édile, comme Jean Castex en 2020 qui a laissé vacant son poste à Prades, ou Édouard Philippe en 2017 avec la mairie du Havre. 

Les déclarations actuelles de François Bayrou tracent en revanche un virage en épingle avec les positions qu’il tenait il y a plusieurs années, lorsqu’il avait brigué l’Élysée en 2007 et en 2012. «Pour que le Parlement redevienne digne, je ferai en sorte qu’on ne puisse plus voter si l’on n’est pas présent. (...) Je veux que, désormais, tout le monde puisse assumer sa mission de député du peuple. Pour cela, je mettrai fin au cumul des mandats qui empêche les députés de faire leur métier », déclarait le centriste en 2007 lors d’un meeting à Pau