A69 et néonicotinoïdes… Quand les parlementaires détricotent la protection de l'environnement
Hasard du calendrier, cette semaine, plusieurs sujets environnementaux épineux étaient au menu à l'Assemblée nationale et au Sénat. Chez les Sénateurs était discutée la réouverture du chantier de l'autoroute A69, interrompu depuis fin février après une décision de justice du tribunal administratif de Toulouse, tandis que chez les députés, une commission se penchait de son côté sur la réintroduction dérogatoire d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes – pourtant interdits en France depuis 2018 –, l'acétamipride.
Dans les deux cas, les Chambres ont tranché en faveur de ces projets, provoquant l'ire des défenseurs de l'environnement qui déplorent "des passages en force". France 24 revient sur ces deux décisions controversées.
Rouvrir le chantier de l'A69 en contournant la justice
C'est une première étape vers une reprise du chantier de l'A69. Le Sénat a adopté, jeudi 15 mai, dans un hémicycle parsemé mais à une large majorité, une proposition de loi pour relancer ce projet de construire une vaste bande de bitume d'une cinquantaine de kilomètres entre Toulouse et Castres.
Le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse avait en effet suspendu l'autorisation de construire et annulé les arrêtés préfectoraux délivrés par l'État, plaidant que la "raison impérative d'intérêt public majeur" de ce projet ne tenait pas pour justifier les atteintes à l’environnement qu'il allait provoquer.
En réponse, et dans l'espoir de reprendre la main, les deux sénateurs du Tarn – que l'A69 doit traverser –, Marie-Lise Housseau et Philippe Folliot, ont ainsi déposé un texte pour contourner cette décision en faisant reconnaître par la loi que ce chantier répond bien à une "raison impérative d’intérêt public majeur". Leur argument : cette autoroute doit permettre de désenclaver le bassin de Castres et Mazamet, où vivent environ 100 000 personnes. "Nous faisons notre travail de parlementaires en proposant une porte de sortie pour faire en sorte d’arrêter cette situation ubuesque et stopper cette gabegie", a souligné Philippe Folliot, assurant que "la quasi-totalité des élus locaux sont favorables" au projet.
De son côté, dans sa décision du 27 février, le tribunal administratif avait pourtant jugé que la zone ne présentait "ni un décrochage démographique, […] ni un décrochage économique" ; et que le coût élevé du péage ne rendrait pas le nouveau tronçon suffisamment attractif.
La proposition de loi sera désormais transmise à l’Assemblée nationale, qui l’examinera dès le 2 juin. Si elle est validée au Parlement, elle entraînerait ainsi la validité des arrêtés préfectoraux et la possibilité de reprendre les travaux. Il restera cependant aux opposants au projet un dernier recours légal : la saisie du Conseil constitutionnel.
Mais au-delà de l'issue et du projet en lui-même, c'est désormais la méthode qui fait aussi grincer parmi les juristes et dans les rangs politiques, certains dénonçant une initiative non conforme à la Constitution et qui met à mal la séparation des pouvoirs. "La question ce matin, n’est pas 'êtes-vous pour ou contre pour le doublement de la route existante', mais 'sommes-nous respectueux des principes mêmes de la Constitution ?'" a résumé le sénateur écologiste Ronan Dantec.
En parallèle, des procédures judiciaires sont toujours en cours, notamment au tribunal administratif de Toulouse. Un juge doit statuer le 21 mai sur un premier recours contre l'arrêt des travaux déposé par l'État.
Avant l'arrivée du texte à l'Assemblée nationale, une lettre ouverte d'un collectif d’opposants appelle ainsi les parlementaires à voter contre cette proposition de loi : "Ne soyez pas complices de cette offensive sans précédent", peut-on notamment lire. "La question n’est pas de vous prononcer pour ou contre l’A69, mais pour ou contre l’État de droit."

Réintroduire un pesticide nocif pour les abeilles
Le veille, à l'Assemblée, les députés de la commission des Affaires économiques se penchaient quant à eux, sur la réautorisation de certains néonicotinoïdes, des produits insecticides utilisés par les agriculteurs pour lutter contre les ravageurs, notamment pour la culture de la betterave. Ces derniers ont ainsi approuvé la réintroduction dérogatoire de l'un d'entre eux, l'acétamipride.
Interdit en France depuis 2018, ce pesticide, nocif pour les pollinisateurs, comme les abeilles, est toujours utilisé dans plusieurs pays de l'Union européenne, où il est autorisé jusqu'en 2033. Les membres de la commission ont ainsi donné leur feu vert pour que cet insecticide puisse être autorisé par décret, pour une durée limitée de trois ans, et à titre "dérogatoire" pour certaines filières en situation d’impasse. L'objectif affiché : "lever les contraintes" pesant sur le métier d’agriculteur, après le vif mouvement de contestation du secteur fin 2024.
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Pour le rapporteur du texte, le député LR Julien Dive, cette mesure apporte en effet "une solution ponctuelle pour un usage précis à une filière qui ne dispose pas d’autre solution et qui se retrouve pénalisée par rapport à ses voisines européennes".
Mais à l’unisson, les députés de la gauche ont dénoncé un grave retour en arrière et une atteinte à la santé. "Ces pesticides sont particulièrement toxiques et connus pour être des tueurs d’abeilles", a dénoncé la députée LFI Mathilde Hignet. Cela "représente une catastrophe pour la biodiversité, la santé des agriculteurs et des riverains", a-t-elle ajouté.
La toxicité des néonicotinoïdes a été prouvée vingt fois, à la fois en condition de laboratoire, mais aussi sur le terrain", souligne de son côté à l'AFP Cédric Alaux, directeur de recherche en biologie et protection des abeilles à l’Inrae
Concrètement, les néonicotinoïdes, tout comme d’autres pesticides ou fongicides, peuvent avoir des effets sur "les capacités de communication et d’orientation des abeilles", notamment des ouvrières qui sortent régulièrement de la ruche pour nourrir la colonie et s’assurer de la survie du couvain.
Alors que l’examen du texte doit débuter dans l’hémicycle le 26 mai, le député Richard Ramos a dénoncé des menaces exercées par la FNSEA, qui a, selon lui, appelé à "murer" les permanences des députés MoDem ou "même à aller chez eux".
Avec AFP