Argentine : comprendre l’affaire de corruption qui éclabousse Javier Milei et sa sœur Karina
En campagne dans la ville de Lomas de Zamora (banlieue de Buenos Aires), un bastion de l'opposition péroniste, Javier Milei a été la cible, mercredi 27 août, de jets de pierres et d'invectives suite au scandale provoqué par la diffusion dans la presse d'une série d'enregistrements audio.
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On y entend les conversations de l'ancien directeur de l'Agence nationale pour les personnes handicapées (Andis), Diego Spagnuolo, au sujet de pots de vin versés par une entreprise pharmaceutique et perçues par des membres de l'administration présidentielle.
Ces révélations ont provoqué l’ouverture d'une enquête par le parquet. "Tout ce que dit (le fonctionnaire) est faux, nous allons le traduire en justice et prouver qu'il a menti", a déclaré Javier Milei aux journalistes peu avant les incidents.
Dans cette affaire, Karina Milei, secrétaire de la présidence, que son frère appelle "Le Chef", est soupçonnée d'avoir perçu 3 % du montant payé par l'Agence nationale du handicap (Andis) au groupe de santé privé Suizo Argentina pour l'achat de médicaments.
Comment le scandale a-t-il éclaté ?
Le 20 août, la presse argentine a diffusé une série d'enregistrements audio où l’on entend la voix supposée de Diego Spagnuolo, directeur de l’Andis, mettre en cause Eduardo “Lule” Menem, le sous-secrétaire du secrétariat général de la présidence, un poste occupé par Karina Milei, la sœur et bras droit du président.
Membre de la famille de l'ancien président Carlos Menem, qui a gouverné l'Argentine entre 1989 et 1999, cousin de l'actuel président de la Chambre des députés, Martín Menem, il serait le principal opérateur de cette affaire de corruption.
Dans les enregistrements divulgués, Karina Milei est désignée comme la destinataire potentielle de 3 % des montants versés par l'État argentin à la société Suizo Argentina pour l’achat de médicaments destinés à des programmes d'aide aux personnes souffrant de diverses pathologies chroniques.

Dans l'un des enregistrements, on entend Diego Spagnuolo admettre la complicité présumée du président : « Il n'est pas impliqué, mais tous ses proches le sont. Ils demandent de l'argent aux gens (...) et aux prestataires ».
Spagnuolo affirme avoir dit au président argentin : “Javi, tu sais qu'ils volent. Tu sais que ta sœur vole, ne fait pas l’idiot”.
Dans un autre extrait, le fonctionnaire affirme avoir averti Javier Milei que le circuit de détournement de fonds serait géré par une femme d'affaires liée à la famille Menem, qui empocherait des millions. “Elle empoche un demi-million de dollars par mois grâce aux médicaments” affirme-t-il.
Où en est l’enquête ?
Une plainte a été enregistrée le jour même de la révélation des enregistrements. Elle vise Javier Milei, sa sœur Karina, “Lule” Menem, Diego Spagnuolo et le propriétaire de l'entreprise Suizo Argentina, Eduardo Kovalivker, accusés d'avoir participé à un “système de perception et de paiement de pots-de-vin liés à l'achat et à la fourniture de médicaments, avec un impact direct sur les fonds publics”.

Celle ci a été déposée par l'avocat Gregorio Dalbón, l'un des représentants légaux de l'ancienne présidente péroniste Cristina Fernández de Kirchner, qui a dirigé l'exécutif entre 2007 et 2015. Elle est actuellement assignée à résidence après avoir été condamnée à six ans de prison pour association illicite et gestion frauduleuse pendant son mandat, accusations qu'elle rejette.
L'affaire a été confiée au juge fédéral Sebastián Casanello et au procureur Franco Picardi, qui ont ordonné au moins quinze perquisitions liées à l'enquête. Dans le cadre de ces opérations, 266 000 dollars et sept millions de pesos argentins (environ 5 000 dollars) en espèces ont été saisis vendredi 22 août auprès de l'homme d'affaires Emmanuel Kovalivker, fils d'Eduardo Kovalivker, tous deux dirigeants de l'entreprise Suizo Argentina.
En outre, les téléphones portables de Spagnuolo et des propriétaires de l'entreprise ont été remis à la justice afin de comparer le contenu des enregistrements audio avec le reste des conversations.
Selon les médias locaux, le téléphone portable de Diego Spagnuolo, examiné dans le cadre de l'enquête, ne contenait aucune conversation avec Karina et Javier Milei, malgré la relation étroite qui les unissait.
Quelle est la réponse de l'administration Milei ?
Mercredi, pris à partie dans la banlieue de Buenos Aires où il faisait campagne, le président argentin a lancé aux journalistes présents "tout ce qu'il dit est un mensonge, nous allons le traduire en justice et prouver qu'il a menti", mettant en cause pour la première fois l’ex-dirigeant de l'Agence nationale du handicap (Andis).
Jusque là, ni Javier Milei ni sa sœur n'avaient fait de déclaration publique au sujet de cette plainte. Cependant, quelques heures après l'éclatement du scandale, Diego Spagnuolo, qui est aussi l'un des avocats du président, a été démis de ses fonctions à titre “préventif “. Le président argentin a également placé l'Andis sous son autorité pour une période de 180 jours.

“Lule” et Martín Menem ont quant à eux nié les faits lundi et ont dénoncé une manœuvre politique à l'approche d'élections législatives cruciales en Argentine.
Suizo Argentina, pour sa part, a réagi mardi par un communiqué, partagé par Javier Milei sur ses réseaux sociaux, dans lequel elle nie toute irrégularité dans ses actions.
La situation critique des personnes handicapées en Argentine
Ce scandale intervient dans un contexte de tensions autour des allocations versées aux personnes handicapées. Celles-ci sont dans le collimateur du pouvoir exécutif qui soupçonne des irrégularités dans les listes de bénéficiaires.
En effet, Javier Milei avait opposé le 4 août son véto à une loi – approuvée par le Congrès – qui visait à déclarer l'état d'urgence en matière de handicap et garantir davantage de soutien à ce secteur. Le jour même où les enregistrements ont été divulgués, la Chambre des députés a rejeté le veto présidentiel.

Un deuxième scandale pour Javier Milei
Avant ces accusations de détournement de fonds, l'affaire $LIBRA avait déjà terni l'image du président argentin. Le scandale a éclaté le 14 février 2025 lorsque Javier Milei a fait la promotion de la cryptomonnaie $LIBRA sur le réseau social X.
Quelques minutes après son lancement, sa valeur s'est effondrée et des investisseurs ont porté plainte contre le président libertarien, en Argentine et à l'étranger. Le gouvernement argentin a alors créé une unité spéciale d'enquête (UTI) chargée de faire la lumière sur d'éventuelles irrégularités dans cette affaire, mais l'a dissoute par décret présidentiel peu après, en mai.
Un scandale qui éclate en pleine campagne électorale
Élu en 2023, Javier Milei affronte son premier test électoral depuis sa victoire triomphale à la présidentielle. Le 26 octobre se tiennent les élections de mi-mandat en Argentine pour renouveler 127 des 257 sièges de la Chambre des députés, ainsi que 24 des 72 sièges du Sénat national.
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La version originale en espagnol est à lire ici. Adaptation par David Gormezano