Dix ans après le début de la bataille judiciaire qui oppose la mairie de Biarritz à l’association Mémoires et Partages, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient de rendre sa décision : le quartier de «La Négresse» devra changer de nom. «La cour juge que, quelles que soient l’origine supposée de cette appellation et sa dimension historique revendiquée par la commune de Biarritz, le terme “La Négresse” évoque aujourd’hui, de façon dévalorisante, l’origine raciale d’une femme dont l’identité n’a d’ailleurs pas été formellement identifiée», peut-on lire dans un communiqué, qui pointe un mot «de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine». La mairie dispose d’un délai de trois mois pour modifier le nom du lieu-dit.
L’association bordelaise Mémoires et Partages avait lancé ses démarches pour faire changer le nom du quartier, qu’elle juge «raciste et sexiste», après avoir pris connaissance de celui-ci en 2015 via un tweet de d’Alain Jakubowicz. Le président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) relayait la photo d’une banderole faisant la promotion des «Fêtes de la Négresse», où figurait la caricature d’une femme noire. Quatre ans plus tard, l’association avait alors manifesté le 22 août 2019 lors du G7 à Biarritz.
En décembre 2020, elle a déposé un recours demandant l’abrogation des délibérations de 1861 et 1986 qui reconnaissent le nom du quartier et d’une rue de la ville. Ce qui a été rejeté trois ans plus tard par le tribunal administratif de Pau. L’association avait fait appel dans la foulée. Le 16 janvier dernier, lors de l’audience devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, le rapporteur public a estimé que la mairie de Biarritz avait «commis une erreur» en refusant cette demande. Il avait ensuite préconisé l’annulation de la décision du tribunal administratif de Pau.
Une légende urbaine ou une déformation sémantique
Le quartier de «La Négresse» fait couler beaucoup d’encre depuis plus de dix ans. Et pour cause : tout le monde ne s’accordait pas à faire changer ce nom. Un grand nombre de Biarrots semble attaché à cette dénomination, qu’ils connaissent depuis toujours. Du moins, depuis le début du XIXe siècle. Jusqu’alors, il s’appelait le quartier «Harausta», qui signifie «terre poussiéreuse», en basque. Par la suite, la légende raconte qu’au cours des années 1810, une femme noire qui tenait une auberge à Biarritz fut surnommée «la négresse» par des soldats de Napoléon Ier. Le 22 octobre 1861, la ville a ensuite décidé, par délibération municipale, de renommer officiellement ce quartier. Une seconde délibération, cette fois-ci de 1986, est venue en plus attribuer le nom à une rue du quartier.
Mais une autre hypothèse de cinq chercheurs de la région est venue chambouler l’origine de cette locution en 2024. «En réalité, l’histoire autour de cette aubergiste est une légende urbaine, racontée par Joseph Laborde, un historien incontestable, dans son livre La Paroisse Saint-Martin», explique au Figaro Jean-Loup Ménochet, historien spécialiste de la ville de Biarritz depuis 25 ans. Selon les chercheurs, il s’agirait alors d’une déformation des termes «lane gresse» ou «lane grasse», repérés dans plusieurs lieux-dits de la région, signifiant «landes d’argile». «Cela fait référence aux terres argileuses, et c’est là que nous avons recoupé notre information selon laquelle le quartier de La Négresse était autrefois un quartier de potiers et briqueteries», analyse Jean-Loup Ménochet.
En 2018 la ville avait décidé de supprimer la mention polémique sur la gare de «Biarritz-La Négresse», puis en 2021 sur l’arrêt de bus désormais appelé plus sobrement «Viaduc - Gare de Biarritz». Mais les panneaux de signalisation dans le centre-ville et certaines enseignes mentionnent toujours le nom du quartier. Le péage s’appelle également «La Négresse».