Condamnation de Marine Le Pen : « certains voudraient ne plus être soumis au principe d’égalité devant la loi » pour Inès Bernard, déléguée générale d’Anticor

En 2017, Emmanuel Macron avait fait campagne sur la promesse de « moraliser » la vie politique. Qu’en reste-t-il ?

Inès Bernard

Déléguée générale d’Anticor

La promesse d’exemplarité n’a pas du tout été tenue. La République exemplaire a été un vœu pieux. Aujourd’hui, le sentiment d’impunité du personnel politique s’amplifie jusqu’au gouvernement. Rachida Dati a, par exemple, été nommée ministre alors qu’elle a été mise en examen pour corruption. Malheureusement, le poisson pourrit toujours par la tête… Comment ensuite demander aux élus locaux de respecter la loi quand certains ministres sont eux-mêmes mis en cause pour des atteintes à la probité ?

Au-delà de ces cas, l’absence de politique de lutte contre la corruption du gouvernement est à déplorer. D’abord, la justice économique et financière manque considérablement de moyens. Que ce soit le Parquet national financier (PNF), où on a plus de 700 dossiers pour 18 magistrats, les juridictions interrégionales spécialisées ou l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Rien n’est fait pour améliorer leur situation. Ensuite, il faut aussi dire que le plan de lutte contre la corruption préparé par le gouvernement en 2023, en lien avec l’Agence française anticorruption (AFA, rattachée au ministère de la Justice et à Bercy), est à l’arrêt alors qu’il est pourtant prêt. Ce qui fait défaut, comme l’explique la magistrate Isabelle Jégouzo, directrice de l’AFA, c’est une réelle volonté politique de porter ce plan.

La loi Sapin II de 2016, qui oblige les juges à examiner la possibilité de rendre inéligible un élu mis en cause, est sous le feu des critiques des réactionnaires. Comment les jugez-vous ?

La loi Sapin II a été une belle avancée, comme la création du PNF et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2013 ou de l’AFA en 2016. C’étaient des réponses aux différentes affaires. Il ne faut pas perdre ces acquis. Il faut surtout aller plus loin : imposer de présenter un casier judiciaire vierge pour se présenter à toute élection. C’est d’ailleurs ce que proposait Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle en 2017.

Les propos de François Bayrou et Gérald Darmanin, qui ont fait part de leurs interrogations quant à la condamnation de Marine Le Pen, sont-ils des freins supplémentaires à la moralisation de la vie politique ?

C’est en tout cas très grave. L’exécutif n’a pas à s’exprimer sur une décision de justice. Et il en va de même pour les parlementaires. Pendant le réquisitoire, certains d’entre eux se sont permis de demander aux juges de ne pas appliquer une loi qu’ils ont pourtant eux-mêmes votée… C’est honteux. Comment l’expliquer ? Beaucoup de ces élus se sentent menacés par la possibilité de faire l’objet d’une peine d’inéligibilité.

Ce qu’ils demandent, d’une certaine façon, c’est que les responsables politiques ne puissent recevoir de peine. Puisque les peines de prison ne leur sont jamais appliquées, il existe une peine spéciale, celle d’inégibilité, qui est prévue justement pour protéger la démocratie. En demandant d’en être préservés, certains refusent d’être soumis au principe d’égalité devant la loi. Lutter pour la probité des élus, c’est justement tout le contraire.

Certaines voix s’élèvent, du côté d’alliés du RN, pour dire que les magistrats auraient dû prendre en compte le contexte politique en prenant leur décision. Que leur répondre ?

Dans le délibéré, une phrase répond parfaitement à cette objection. Les magistrats commentent la position de la défense qui demande de laisser les électeurs décider et déclare : « Cela reviendrait à un privilège, une immunité, en violation des règles de la loi. »

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