Cet autre pays dans le viseur de la Russie : en Géorgie, la jeune génération se bat pour son avenir
Alors que la nuit tombe sur Tbilissi, la capitale géorgienne, les rues se remplissent de jeunes manifestants. Des centaines de drapeaux flottent au-dessus de leurs têtes. Au milieu de ce patchwork de couleurs européennes, géorgiennes, ukrainiennes et même allemandes, un slogan résonne : "Feu à l'oligarchie !"
C'est un samedi soir glacial, et les manifestants suivent le même itinéraire depuis novembre, de la place de l'Europe à l'avenue Rustaveli. Leur objectif : bloquer les voies les plus importantes de la ville et, surtout, montrer qu'ils ne reculeront pas.
Une génération divisée
Pour Rati, 31 ans, il s’agit d’un combat existentiel. Alors que le rassemblement du soir approche, le jeune homme se couvre les traits d’un masque noir : "Je dois me cacher le visage, parce que notre gouvernement a placé des caméras un peu partout. Ils nous identifient grâce aux vidéos."
Rati fait partie de cette nouvelle vague de jeunes Géorgiens qui voient dans l'adhésion à l'Union européenne (UE) une chance de garantir la démocratie et la croissance économique pour leur pays, en s’extrayant de l’ombre de la Russie. Mais tout le monde n'est pas du même avis.
Nino, 29 ans, est une Géorgienne d'origine russe, et elle estime que son pays devrait rester neutre : "Cette jeune génération n’est pas politisée. Elle se contente de bloquer les rues et de perturber l'agenda du pays. Je pense qu'ils se bercent d’illusions."
Les échos de 2008
Ayant grandi avec une mère russe et un père géorgien, Nino se souvient du jour où elle a commencé à s'interroger sur son identité. "Quand je me suis réveillée ce matin-là, j’étais tombée du lit à cause d’une explosion près de notre maison. J'ai demandé à ma mère ce qu’il se passait et elle m'a répondu : ‘La guerre a commencé’. J’ai dit : ‘Avec qui ?’ et elle a répondu : ‘avec la Russie’. C’était impensable, parce que j’ai grandi en me sentant aussi russe que géorgienne. C’est difficile pour une enfant d'accepter une telle réalité."
"Ce matin-là" évoquée par Nino remonte au mois d'août 2008, lorsque les forces russes ont envahi les régions séparatistes géorgiennes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Les combats ont duré cinq jours et ces territoires sont, aujourd’hui encore, occupés par la Russie. Cette dernière contrôle ainsi plus de 20 % du territoire géorgien.
Pour Rati, cette occupation est similaire à la stratégie déployée par le Kremlin en Ukraine, qui a débouché sur l'invasion à grande échelle de 2022. Déterminé à ne pas céder à l’emprise de la Russie, le jeune homme estime que l'intégration européenne est la seule alternative pour la Géorgie.
Mais une partie de la population craint que l'histoire ne se répète si le pays se rapproche de l'UE et de l'Otan.
Le coût de la résistance
En novembre 2024, le parti Rêve géorgien a remporté les élections législatives. Le scrutin a fait l'objet d'une surveillance internationale accrue, en raison de nombreux soupçons d'ingérence et d'irrégularités. Selon le Parlement européen, cet épisode électoral a été "une nouvelle manifestation du recul démocratique continu du pays, dont le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, est entièrement responsable". L’instance européenne a finalement appelé à de nouvelles élections.
En réaction, le nouveau parti au pouvoir a décidé de bloquer les discussions sur l'intégration de la Géorgie à l'UE jusqu'en 2028. Cette décision a déclenché une vague de protestations, qui continue de déferler aujourd'hui. Il s'agit du troisième mouvement de protestation de masse en faveur de l'intégration européenne et de la liberté d'expression depuis 2023.
Les manifestations à Tbilissi ont été réprimées brutalement par la police. Rati a lui-même été frappé par plus d'une douzaine de policiers, qui lui ont cassé le nez et infligé des blessures sur tout le corps. Pourtant, malgré cette répression, le mouvement se poursuit. "J'ai eu une commotion cérébrale et je suis resté en convalescence pendant une douzaine de jours. Ma femme continuait de descendre dans la rue tous les jours. Puis, j’ai recommencé à sortir moi aussi. Et aujourd'hui, j’assiste à nouveau à toutes les manifestations", relate Rati.
Quel futur pour la Géorgie ?
À en croire les sondages effectués ces dernières années, une grande majorité de citoyens géorgiens sont favorables à l'intégration européenne, mais cela suffira-t-il à vaincre l'influence croissante de la Russie ?
Pour Nino, il vaudrait mieux prendre un peu de recul pour maintenir la paix : "Mon rêve pour ce pays, c’est que les Géorgiens fassent la paix avec eux-mêmes et ne se fassent jamais de mal juste pour plaire à des étrangers." Et d'ajouter en souriant : "C'est tout. C'est ce que je veux."
Mais, alors que Rati et des milliers d'autres poursuivent leur mouvement, une chose est sûre : la lutte pour l'avenir de la Géorgie est loin d'être terminée.