Sur Vinted, les photos des utilisateurs cèdent peu à peu la place à celles générées par l’IA
Des vendeurs trompent-ils leurs clients potentiels sur Vinted ? Sur l’application de seconde main massivement utilisée par les Français, la concurrence est rude. Pour y vendre ses vêtements et attirer le chaland, la qualité de la photo est primordiale. L’angle, la lumière et la pose sont soignés, afin d’offrir la meilleure vitrine possible pour son bien. Pour y parvenir, certains vont même plus loin, en faisant appel aux derniers outils de génération d’images.
Grâce à ces dispositifs, en effet, plus besoin de passer des heures à poser devant son miroir avec ses habits, ou à retoucher les photos prises. Il suffit de rédiger un prompt - une commande - et d’ajouter quelques photos du vêtement pour que l’IA génère, dans la minute, une image ultra réaliste mettant la pièce en valeur. Sur l’illustration virtuelle se dessine alors un mannequin plus vrai que nature, dont la silhouette parfaite se fond dans un décor soigné. De quoi ringardiser les photos amateurs habituelles, qui se font de plus en plus rares.
Sur le site, l’ampleur du phénomène se constate immédiatement. Malgré l’absence d’indicateur permettant de les identifier, les visuels créés par l’IA sont généralement faciles à repérer grâce à des incohérences. Pour les usagers qui recourent à cette pratique, les avantages sont nombreux. «L’IA me permet de vendre plus rapidement, explique ainsi une des vendeuses. Les vêtements rendent souvent mieux portés, et pour certaines coupes compliquées, ça aide vraiment les acheteurs à se projeter». Sur sa page se voient de multiples mannequins virtuels, dans des rues fleuries ou des villas luxueuses, rendant le profil à la fois attractif et esthétique, avec un côté légèrement enfantin, comme un catalogue de dessins animés. Charge ensuite aux clients intéressés de demander une photo authentique du vêtement en message privé.
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Une pratique trompeuse ?
Cette pratique est-elle toutefois acceptée ? À partir d’une photo médiocre du vêtement, l’outil crée en effet une image parfaite qui valorise l’allure du produit. Ces images, souvent embellies, ne montrent pas les défauts, certains détails sont oubliés, et il est impossible de se représenter la texture réelle du vêtement. De quoi tromper des clients. «Je pensais avoir acheté un pantalon d’une bonne épaisseur, avec une coupe droite, et j’ai été déçue de découvrir qu’il s’agissait en fait d’un pantalon de plage, de plus transparent», raconte Victoire, 34 ans, victime de ce qu’elle qualifie de «mensonge».
Le sujet prend de l’ampleur, alors que certains vêtements semblent tout droit sortis des rayons du géant chinois de la fast-fashion Shein, mais sont revendus deux fois plus cher à l’aide d’images générées par intelligence artificielle. Contacté, Vinted reconnaît l’ampleur du phénomène et envisage d’intégrer une mention explicite «image générée par IA» sur les posts en question. «L’usage de l’IA en tant qu’outil de valorisation visuelle n’est pas interdit en soi», précise-t-on au Figaro. Cela dit, «le fait d’induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles d’un produit ou service constitue, par définition, une pratique commerciale trompeuse au sens du Code de la consommation», souligne Maître Aurore Bonavia, avocate spécialisée en propriété intellectuelle.
Utiliser des images trompeuses, notamment générées par intelligence artificielle, pour vendre un produit sur des plateformes comme Vinted peut entraîner des sanctions, en particulier en cas de contrefaçon ou de fausse représentation du produit. La Répression des fraudes (DGCCRF), qui veille à la loyauté des ventes en ligne, peut sanctionner ce type de pratiques. Vinted ne sera pas tenu pour responsable dans ce type de situation : c’est le vendeur, en tant qu’utilisateur, qui porte l’entière responsabilité légale de ce qu’il publie.
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Il y a un an, en mars 2024, le Parlement européen a adopté des mesures pour répondre aux nouveaux défis posés par l’intelligence artificielle. «L’AI Act impose une obligation claire de transparence dès lors qu’un contenu est généré ou manipulé par une IA», précise l’avocate. Or, malgré cette règle, les utilisateurs omettent systématiquement de mentionner la présence d’IA sous leurs photos. Selon elle, «le droit n’est pas encore prêt à encadrer ces pratiques. La France, et plus largement l’Europe, accusent un certain retard face à ces technologies.» Les équipes de Vinted suivent tout de même «avec attention les évolutions liées à l’usage de l’IA dans les pratiques de nos membres».