Depuis que l’on a pris conscience de la profondeur de Cosi fan tutte, longtemps jugé frivole, le chef-d’œuvre de Mozart est devenu un formidable terrain de jeu pour les metteurs en scène : que faire de ces deux couples mis à l’épreuve de la fidélité amoureuse au cours d’un pari aussi cruel que comique ? Après Chéreau, Haneke, Keersmaeker, Tcherniakov et tant d’autres, Marie-Ève Signeyrole se confronte, à l’Opéra de Lyon, à cette matière inépuisable.
Elle le fait avec suffisamment d’habileté pour souligner à la fois la dimension intemporelle de la question du désir et de l’amour et les résonances actuelles que peut avoir l’intrigue, à l’heure où le couple homme-femme n’est plus le seul modèle et où les relations « fluides » sont un phénomène de société.
Goût pour la performance
Pour cela, Signeyrole prend à la lettre le sous-titre de l’œuvre : L’École des amants. Don Alfonso est un professeur de philosophie, qui invite ses étudiants des Beaux-Arts à participer à une expérience afin de tester leurs réactions face à la confusion des sentiments. Outre les protagonistes, vingt couples y assistent : à part quelques acteurs, ils ne sont pas professionnels mais choisis dans le public. On reconnaît le goût de Signeyrole pour la performance, tout comme son maniement de la vidéo comme intériorisation des pensées des personnages, et son sens de l’espace scénique.
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Le dispositif est astucieux mais on reste un peu sur sa faim. À la représentation du 20 juin, l’interaction entre solistes et figurants d’un soir semblait confuse. Surtout, on attendait plus de prise de risque de la part d’une metteuse en scène dont le Don Giovanni strasbourgeois osait la radicalité. Ici, hormis quelques interventions un peu voyantes pour désamorcer la misogynie du sujet, on n’apprend rien de bien nouveau sur les personnages. Il n’en reste pas moins que ce spectacle de son temps a conquis le public très jeune de l’Opéra de Lyon, séduit par l’idée que si « Cosi fan tutte », c’est parce que « Cosi fan tutti ».
Jeune aussi, la distribution : un atout pour la crédibilité. On préfère le timbre et la présence très charnels de la Dorabella de Deepa Johnny à la raideur vocale de la Fiordiligi Tamara Banjesevic. Le ténor lyrique et coloré du Ferrando de Robert Lewis complète le baryton mordant du Guglielmo d’Ilya Kutyukhin. Simone Del Savio incarne le professeur un peu sentencieux, tandis que l’impressionnante Giulia Scopelliti renouvelle le personnage de Despina. Une impression de sécheresse musicale est à mettre au passif du chef Duncan Ward, dont la battue mozartienne nous avait déjà paru bien peu flexible dans Cosi à l’Opéra du Rhin. Sa recherche permanente de tonicité ne laisse pas respirer l’orchestre et les solistes, au détriment du rebond de la pulsation mozartienne.