Privas : après l’abattage de sept chiens de chasse, jugement attendu en Ardèche entre chasseurs et Longo Maï

L’épilogue d’une grande discorde. Le tribunal de Privas doit rendre, ce mardi, son jugement dans l’affaire qui a opposé des chasseurs et des habitants de la commune de Chanéac, dans le nord-ouest de l’Ardèche, le 16 décembre 2023. D’un côté, le président d’une communauté Longo Maï, Manuel Merlhiot, accusé d’avoir abattu sept chiens de chasse qui avaient attaqué ses cochons, en marge d’une battue. De l’autre, les deux propriétaires desdits chiens, Boris Magaldi et Benoît Brolles, jugés lors d’un même procès pour avoir laissé divaguer leurs Gascons-Saintongeois sur l’exploitation autogérée.

L’affaire se noue au plus fort de la saison de la chasse. Ce jour-là, «on avait d’ailleurs rentré les moutons par prévention», expliquera Manuel Merlhiot à la barre, le 3 avril. Le 16 décembre 2023, les chasseurs d’Arcens effectuent une battue sur le vallon en face du hameau de Treynas, où vit la communauté Longo Maï. Vers midi, sept chiens des chasseurs s’éloignent de la traque d’un sanglier et débarquent en trottant sur le chemin du hameau. À quelques dizaines de mètres, Manuel et Sandra, exploitants de la ferme, expédient une commande de bois à la scierie voisine, quand ils entendent les grelots de la meute. Les chiens passent sous la clôture électrifiée d’un cheptel de porcs laineux, caractéristique qui leur vaut une certaine ressemblance avec les sangliers. Ils les rabattent au fond du champ, dans un buisson d’épines noires. D’après le récit de Manuel Merlhiot aux gendarmes de Tournon-sur-Rhône, les chiens plaquent au sol les bêtes et commencent «à les dévorer». Les deux exploitants leur jettent des pierres pour les faire fuir, en vain. Manuel gagne le village au-dessus du champ, et en revient muni d’une vieille carabine Winchester. Entre-temps, les propriétaires des chiens ne sont pas arrivés. Manuel assure alors avoir tiré en l’air, puis au sol. «Je voulais leur faire peur mais ça ne marchait pas», explique-t-il. L’effet inverse se produit. «Les chiens étaient de plus en plus excités», raconte sa camarade. «Manu» les abat alors un par un.

Porc euthanasié

Arrivés sur les lieux plus tard, les chasseurs restent persuadés que le paysan ne se trouvait pas en état de légitime défense, et que la meute a été exécutée. Lors de l’audience, au tribunal de Privas le 3 avril, plusieurs centaines de chasseurs s’étaient rassemblées en soutien à leurs deux camarades. «C’est un massacre. Un massacre déguisé en légitime défense», avait plaidé Me Charles Lagier, avocat de Boris Magaldi et Benoît Brolles. Pourtant, les blessures constatées sur les bêtes par un vétérinaire attestent de morsures aux oreilles et aux jarrets, et l’un d’eux sera euthanasié. Me Vincent Brenarth, avocat de la communauté Longo Maï, avait fait valoir dans sa plaidoirie la gradation des actes de son client : les jets de pierre, les cris pour éloigner les chiens. Puis, seulement, les coups de feu : en l’air d’abord, sur les chiens ensuite.

Le conseil avait aussi souligné l’importance, pour tous, que ce jugement permette «le retour du vivre ensemble» dans les collines ardéchoises. Autour de Treynas, l’affaire avait ravivé les fantasmes et commentaires des habitants sur cette communauté autarcique de paysans. Car Manuel Merlhiot n’est autre que le fils d’un fantôme local, l’arnachiste Pierre Conty, connu pour avoir commis le braquage à main armée d’une agence Crédit agricole à Villefort, en Lozère, le 24 août 1977. Dans sa fuite, le père de Manuel Merlhiot avait tué un jeune gendarme et deux civils. Il s’était ensuite évanoui dans la nature, avant d’être condamné par contumace en 1980.

À Privas, le 3 avril dernier, le président du tribunal avait rappelé le cadre de ce procès. «Nous ne sommes pas là pour faire le procès d’une association, d’un mode de vie, ou d’une filiation», avait-il insisté en préambule, comme pour enfin balayer l’ombre de Pierre Conty sur cette affaire. La procureure de la République, elle, avait appelé le tribunal à «s’extraire» de l’émotion que suscitent ces conflits récurrents de cohabitation, tout comme de l’emballement médiatique dont l’épisode a fait l’objet. Juger, oui, mais «sur un plan juridique», avait-elle insisté.

Huit mois de prison avec sursis, 7500 euros d’amende, ainsi qu’une interdiction de détenir et porter une arme pendant cinq ans ont été requis contre Manuel Merlhiot. Quant à Boris Magaldi et Benoît Brolles, le ministère public a demandé qu’ils s’acquittent chacun d’une amende de 1150 euros, assortie d’une interdiction de détention et de port d’arme pendant un an.