Face au bulldozer Trump, opposants cherchent riposte désespérément

L’opposition démocrate est restée KO debout après la large victoire de Donald Trump, le 5 novembre dernier. Le 47e président des États-Unis en a profité pour démanteler des pans entiers de l’État fédéral, signer un nombre vertigineux de décrets et multiplier les sorties fracassantes et les retournements d’alliance au niveau international.

France 24 dresse avec Christophe Deroubaix, grand reporter au journal l'Humanité et spécialiste des États-Unis, un état des lieux de l'opposition à Donald Trump après 100 jours de mandat du turbulent président américain.

"Quand on parle de l'opposition américaine, il faut cependant bien voir qu'elle ne saurait se résumer au Parti démocrate", rappelle l'auteur de "l'Amérique qui vient" (aux éditions l'Atelier). "Le contre-pouvoir vient aussi des institutions et des mouvements sociaux, qui jouent à plein leur rôle de contre-pouvoirs."

Les institutions : la première opposition vient de là

Comme lors du premier mandat de Donald Trump, la société civile mène une guérilla judiciaire contre les décisions du président.

“La première opposition vient de fait des institutions. Aux États-Unis, pays de droit commun, la justice interprète et garantit le respect de la Constitution”, rappelle Christophe Deroubaix. “Depuis l’investiture, il y a eu des feux verts de la justice certes mais il y aussi eu pas mal de feux orange voire de feux rouges.”

Cependant, le 47e président des États-Unis n’aime pas qu’on lui dise non. Il a d’ailleurs cité Napoléon pour exprimer sa position : "Celui qui sauve sa patrie ne viole aucune loi." Du côté du vice-président J.D. Vance, on estime que “les juges ne sont pas autorisés à contrôler le pouvoir légitime de l’exécutif”.

Condamné au pénal pendant la campagne, persuadé que l'élection de 2020 lui a été "volée", Donald Trump menace désormais ouvertement les magistrats. Il a ainsi appelé à destituer un juge qui avait ordonné de suspendre une spectaculaire opération d'expulsion de migrants vers le Salvador, décidée en vertu d'une vieille loi de temps de guerre.

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Suffisamment rare pour être signalée, la Cour suprême a admonesté les méthodes menaçantes du président après ses menaces contre le juge. Avec six magistrats conservateurs sur neuf, dont trois nommés par Trump, l’instance judiciaire suprême ne saurait pourtant être qualifiée de “gauchiste”, la disqualification préférée du président.

Les manifestations : une base pour construire quelque chose

En 2017, dès le lendemain de l’investiture de Donald Trump, la Marche des Femmes rassemblait 500 000 personnes à travers les États-Unis pour s’opposer au président américain. Quelques mois plus tard, d’autres manifestations massives éclataient, notamment pour s’opposer au “Muslim Ban”.

En 2025, il aura fallu attendre le 5 avril et "Hands off !" (Bas les pattes !) pour que le premier grand rassemblement ait lieu contre Donald Trump et sa politique. Alors la manifestation est-elle dépassée comme moyen d’opposition ?

“La manifestation, c’est une base pour construire quelque chose. C’est le moment où on descend dans la rue, on se compte et on voit qu’on est nombreux”, analyse Christophe Deroubaix qui voit dans le rassemblement de masse une étape pour bâtir un mouvement, sans être une fin en soi.

Pour le grand reporter, les raisons qui expliquent l’organisation si tardive de la première manifestation massive anti-Trump sont doubles : d’une part, il y a eu une sidération quant au retour du 45e président américain au pouvoir. De l’autre, il y a eu la peur de répéter le mode d’organisation de la “résistance” qui in fine a échoué et n’a fait que retarder de quatre ans le second mandat du milliardaire.

Les démocrates en bande désorganisée

Au cours des 100 premiers jours du mandat Trump, le "Parti démocrate s’est illustré par une opposition futile, incapable de ralentir la stratégie du bulldozer de Donald Trump."

La "manifestation silencieuse" avec des pancartes lors du discours de Donald Trump devant le Congrès a carrément fait l'objet de moqueries. Jugée puérile sur les réseaux sociaux, elle a été parodiée de manière lapidaire par Stephen Colbert dans son Late show avec une petite pancarte "Essayez de faire quelque chose".

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Dans le même temps, les sénateurs démocrates n'ont pas fait grand-chose pour ralentir l'administration Trump, confirmant ses nominations et votant même avec les républicains pour adopter une loi sur l'immigration et éviter un "shutdown". Symbole de cette coopération, le leader des démocrates au Sénat, Chuck Schumer, a prévenu, dès février, que les démocrates "choisiraient leurs combats".

“C’est l’un des éléments les plus marquants de ce début de mandat : le divorce entre le Parti démocrate et sa base”, constate Christophe Deroubaix. “La base de l’électorat Biden s’est radicalisée. Ils sont ulcérés de l’attitude de l’establishment démocrate face à Donald Trump. Et Chuck Schumer est devenu une figure honnie.”

Parmi les parlementaires, le démocrate Cory Booker tente de sauver l’honneur. Début avril, il a battu le record du discours le plus long au Sénat, en s'élevant pendant plus de 25 heures en continu contre la politique de Donald Trump. Son marathon oratoire, bien que largement symbolique, a attiré des millions de vues sur les réseaux sociaux.

Mais, l’initiative, isolée, relève bien une des faiblesses des démocrates : sans leader identifié, sans stratégie coordonnée, ils peinent à incarner une vraie résistance au président républicain.

Bernie Sanders et AOC en tournée pour remobiliser

S’il y en a un qui ne se résigne jamais, c'est Bernie Sanders. Depuis le 21 février, l'élu indépendant, jamais encarté au Parti démocrate, a entamé une série de meetings à travers les États-Unis pour tenter de remobiliser la base démocrate. Son slogan, "combattre l'oligarchie", semble convaincre les foules.

“Son pari est double. D’abord, il veut remobiliser. Avec l’élection de Donald Trump, l’électorat démocrate ne savait plus quoi faire. Bernie Sanders veut repartir d’un truc simple : des meetings. Et avec un thème précis, l’oligarchie”, analyse Christophe Deroubaix. “Puis, il y a une démarche un peu gramscienne de bataille culturelle. Comme en 2016 et en 2020, il veut populariser un thème pour conquérir l’hégémonie culturelle au sein du Parti démocrate.”

Nebraska, Colorado, Arizona, Nevada… les étapes de la tournée ne doivent rien au hasard. Le socialiste le plus connu des Américains laboure les terres qui se sont données d’une courte tête au Parti républicain lors des dernières élections.

A priori dépourvu d'ambition présidentielle pour 2028, l'octogénaire a effectué la majorité de la tournée aux côtés d'Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), étoile montante de l'aile gauche du Parti démocrate.

"La tournée a aussi pour objectif d’imposer un renouvellement générationnel de l’aile gauche. Il faut passer le relais même s’il est probable que 2028 soit encore trop tôt pour ‘AOC’", reprend le journaliste. “Il y a une complémentarité claire dans ce duo. D’abord en termes d’âge et de genre mais aussi en termes de parcours politique. D’un côté, Bernie Sanders est issu d’une gauche traditionnelle qui insiste sur les questions économiques et sociales. De l’autre, Alexandria Ocasio-Cortez a une approche plus intersectionnelle.”

“Ensemble, ils veulent s'organiser face à la présidence Trump et amener le changement au sein du Parti démocrate”, conclut Christophe Deroubaix.