Gaz et électricité : faut-il sortir du marché de l’énergie ? (1/2)

La France doit reprendre la main sur le système libéral européen. Le service public peut redevenir l’outil pour répondre aux enjeux actuels

Fabrice Coudour

Secrétaire général adjoint de la FNME-CGT

Et si la vraie question était : pourquoi devrait-on y rester ? Sous le monopole d’EDF-GDF, pendant près de cinquante ans, les factures basées sur les coûts réels étaient stables. La nation avait su construire un mix énergétique décarboné et équilibré pour des usagers qui bénéficiaient d’un véritable service public du gaz et de l’électricité. Les échanges énergétiques aux frontières s’opéraient déjà entre États alors que le marché de l’énergie n’existait pas.

Le constat est sans appel après vingt-cinq années d’ouverture à la concurrence de l’électricité et du gaz : 12 millions de personnes dans la précarité énergétique en France, 1,2 million d’interventions pour impayés d’électricité. 79 % des Français se restreignent en chauffage pour limiter leurs factures qui n’ont fait qu’exploser, et ce n’est ni la crise ni la guerre qui en portent la responsabilité. Le seul responsable, c’est le marché.

35 milliards d’euros ! C’est ce que le bouclier énergétique a coûté aux finances publiques pour garantir l’existence du marché « libre ». Pourtant, les factures ne cessent d’augmenter pour les particuliers, les professionnels et les industriels.

Pour la FNME-CGT, ce fiasco total doit être stoppé ! Cette libéralisation de l’électricité et du gaz est absurde et dangereuse. Vouloir à tout prix introduire de la concurrence et interdire le monopole pour l’électricité relevait de l’idéologie pure. La Commission européenne, docilement suivie par la France, a servi le capitalisme dans toute sa splendeur. La seule boussole est celle du profit, des dividendes aux actionnaires, au détriment des usagers, des travailleurs et de l’intérêt général.

Ce système artificiel a permis de gaver des spéculateurs et a détourné les fonds pourtant nécessaires à l’investissement dans le système énergétique. C’est un hold-up organisé dont les usagers paient le prix fort. D’autres solutions sont possibles à condition que la France décide de reprendre la main sur un système libéral européen dont la démonstration est faite qu’il est défaillant et non protecteur.

L’État doit rejeter certaines dispositions contraignantes, comme l’ont fait l’Espagne et le Portugal. Chaque État membre doit retrouver une souveraineté dans sa politique énergétique, sans remise en cause de la sécurité d’approvisionnement et de la fourniture à coûts réels pour ses citoyens. C’est en ce sens que la FNME-CGT porte un projet avec son programme progressiste de l’énergie et son juste prix (40 % de moins sur les factures).

Ce service public de l’énergie doit devenir un outil qui tienne compte des enjeux sociaux et environnementaux, des besoins en matière d’efficacité et de performance énergétique, mais aussi de l’avis des usagers et des agents des industries électrique et gazière. Ces solutions sont possibles et finançables sans impact sur la dette publique et avec des baisses sur les factures. Tout est question de courage politique face à ce droit fondamental à l’énergie et à son accès. La question n’est donc pas de savoir s’il faut en sortir… Y rester serait un crime contre les usagers !

Fin 2025, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique disparaît. Des incertitudes subsistent face aux risques d’envolée des prix de gros

Jacques Percebois

Professeur émérite à l’université de Montpellier

Le prix du kilowattheure (kWh) comprend trois composantes : le coût de fourniture, le coût des réseaux (transport et distribution) et le montant des taxes. Chaque composante risque d’augmenter en 2026, surtout la première. Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe), fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), va probablement encore augmenter car il faut à la fois financer le raccordement des installations éoliennes et solaires et financer les interconnexions européennes d’électricité.

Ces interconnexions permettent à la France d’exporter une partie de son électricité mais elles favorisent également le transit d’une partie de l’électricité produite dans les pays limitrophes et ce peut être une contrainte coûteuse pour la France. Les taxes ont été augmentées en 2025, notamment la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE, ex-CSPE), qui a été instaurée dans les années 2000 pour financer le surcoût des renouvelables. Le paradoxe, c’est que l’électricité est aujourd’hui davantage taxée que le gaz naturel ou même le fioul si l’on raisonne par mégawattheure (MWh) et a fortiori si l’on raisonne par tonne de CO2 émise (l’électricité française étant décarbonnée à 95 %).

Le coût de fourniture devrait s’accroître puisque toute l’électricité (y compris nucléaire) devrait être vendue sur le marché spot à compter de 2026. Sur ce marché horaire, les centrales sont appelées en fonction de leur coût de fonctionnement (coût du combustible pour l’essentiel), ce que l’on nomme « coût marginal », et ce sont souvent les centrales à gaz, les dernières appelées, qui déterminent le prix final du marché.

Jusqu’en 2025, le tarif réglementé de vente (TRV) était pour partie (50 % environ) calé sur le coût du nucléaire historique selon l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), fixé à 42 euros par MWh depuis 2012 et qui n’a pas été réévalué depuis, ce qui a conduit à un manque à gagner pour EDF. Le complément marché (50 %) était fixé en fonction du prix spot.

Fin 2025, l’Arenh disparaît, ce qui va fournir des marges pour EDF, lui permettant d’investir, mais ce qui risque d’accroître le prix payé par le consommateur final, du moins si les prix de gros s’envolent, puisque les plafonds à partir desquels seront calculés le « taux de taxation » et le « taux d’écrêtement » sont sensiblement supérieurs au niveau de l’Arenh. Les prélèvements seront en principe redistribués aux consommateurs, mais des incertitudes subsistent sur la façon dont le système va fonctionner.

Face à la volatilité et aux risques d’envolée des prix de gros, certains proposent de modifier le fonctionnement du marché de gros en privilégiant un prix de marché calé sur le coût moyen à moyen terme du parc français et non plus sur le coût marginal horaire du marché européen.

À force de réguler le marché pour limiter ses effets pervers, on va finir par en sortir !

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