Escroquerie, faux agents de joueurs et millions, le business occulte du football français examiné par la justice
Le Figaro Marseille
Habituellement, les coulisses du ballon rond restent secrètes. Mais une dénonciation de l’agent de joueurs Jean-Pierre Bernès auprès du procureur de Marseille a permis de braquer les projecteurs sur ce monde occulte. Depuis ce lundi, et pendant trois jours, huit prévenus comparaissent devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de Marseille dans une vaste affaire d'escroquerie en bande organisée et d’exercice illégal de la profession d’agents de joueurs, dans laquelle la Fédération française de football (FFF) s’est constituée partie civile.
Parmi eux se trouvent l’actuel président du Toulouse FC Damien Comolli, mais aussi le fils de l’ancien entraîneur du PSG Christophe Galtier, John Valovic-Galtier. Dans le viseur du tribunal : une société lyonnaise, Score Agencies, fondée par un ancien joueur émérite de football, formé à l’Olympique lyonnais, un temps président du club de Bourg-en-Bresse dans l’Ain. À la barre, impeccable dans son costume bleu, les cheveux gominés en arrière, David Venditelli se définit comme «un entrepreneur», comme son père et son grand-père avant lui. Au début des années 2000, alors qu’Internet est à son balbutiement, David Venditelli se veut visionnaire, avec une idée : créer une société en charge de l’identité numérique des joueurs de football.
«Mais je me suis rapidement rendu compte que le modèle économique était difficile à mettre en place», explique-t-il. Alors, David Venditelli change son fusil d’épaule. Fort d’un carnet d’adresses fourni dans le monde du football, notamment à Lyon, il décide de transformer sa société en une société d’agents de joueurs, toujours à destination des footballeurs. «Je voulais créer une société dédiée vraiment au service des intérêts des joueurs de football, affirme-t-il. Je voulais apporter tous les services à un joueur grâce à nos partenaires.»
Sept millions d’euros de chiffre d’affaires
À la barre, David Venditelli explique proposer à travers sa société la gestion complète d’une carrière, y compris sur le plan extra-sportif. «Je voulais développer une marque», souligne-t-il. L’entreprise est un succès. Entre 2018 et 2022, la société engendre 7 millions d’euros de chiffre d’affaires, grâce à de juteux contrats contractés avec des clients de renom, comme Alexandre Lacazette. Devant les enquêteurs, l’international français explique ainsi que David Venditelli est celui qui gérait sa carrière, jusqu’à son départ pour Arsenal, comme tous les joueurs importants de l’agence. Dans la presse, David Venditelli est présenté à plusieurs reprises comme agent de joueurs. Alors qu’il se met officiellement en retrait de sa société à cause de ses nouvelles fonctions de dirigeant du club de Bourg-en-Bresse, selon Alexandre Lacazette, un autre pilier de l’agence s’occupe du célèbre attaquant : un certain Jérémy Sutter, ancien coéquipier de David Venditelli, recruté en 2008 au sein de Score Agencies. L’agence fait appel également à John Valovic-Galtier pour gérer ce portefeuille de clientèle.
Mais il y a un hic. Aucun d’entre eux n’a la licence adéquate délivrée par la Fédération française de football, seule certification officielle qui autorise les professionnels à se revendiquer comme agent de joueurs. David Venditelli a bien tenté de réussir cet examen, mais il a échoué à sa grande surprise. Il a contesté cette décision, en vain. «J’ai compris qu’il valait mieux que j’essaie de développer mon entreprise plutôt que d’essayer de me battre», lance-t-il à la barre, se posant comme un conseiller. S’il ne rectifiait pas les journalistes, ni les joueurs qui le désignaient comme un agent, c’était par «commodité».
De son côté, dépourvu de tout diplôme, avec pour seul bagage une petite carrière de footballeur professionnel suivi d’une autre de commercial dans la région lyonnaise, Jérémy Sutter avait été embauché comme «responsable développement administratif et commercial», pour une rémunération qui a pu avoisiner les 25.000 euros mensuels. Au départ, Jérémy Sutter est embauché par David Venditelli pour «s’occuper de l’extrasportif.» Pourtant, l’enquête a révélé son implication dans des négociations avec des clubs concernant l’avenir de joueurs dont il avait la charge, discutant notamment de leurs rémunérations. «Quand vous appelez quelqu’un trois ou quatre fois par semaine pour des investissements immobiliers, et qu’il vous parle de son match, bien sûr que vous discutez», minimise-t-il à la barre, passablement agacé.
«Agent officiel»
Et pour cause : l’agence comporte bien officiellement un seul agent de joueurs affilié par la FFF, un certain Alexandre Bonnefond. Selon les enquêteurs, l’homme n’est que peu en relation avec les joueurs, et ne semble être qu’un simple exécutant judiciaire qui intervient après l’action des autres membres de la société comme Jérémy Sutter ou David Venditelli auprès des joueurs et des clubs. De là à penser qu’i n’est qu’un prête-nom pour des agents dépourvus de qualification légale, c’est le pas qu’ont franchi les magistrats en charge de l’instruction. Dans une négociation concernant un joueur de l’agence convoité par un club breton en plein mercato, Jérémy Sutter prépare ainsi un mail à destination de ce club. Il l’envoie à Alexandre Bonnefond, pour qu’il le copie et le colle sous sa signature d’agent officiellement reconnu par la fédération, et donc légalement seul interlocuteur à pouvoir agir de la sorte.
«Bonnefond, c’est l’agent officiel qui intervient au moment de la conclusion des contrats, estime devant les enquêteurs Alexandre Lacazette. Je ne l’ai vu que quelques fois.» Derrière le procès se pose la question des fonctions exactes d’un agent de joueurs dans le football français. Entremetteur, conseiller ou aide juridique ? Toute la matinée ce lundi, la défense a plaidé la saisie de la cour de la Cassation, sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité, au motif que la réponse exacte à cette question était trop imprécise dans la loi. Un argument rapidement balayé par la cour. Ce mardi sera consacré à l’audition de John Valovic-Galtier. Les prévenus encourent jusqu’à un million d’euros d’amende et dix ans de prison.