Notre critique d’À 2000 mètres d’Andriivka, une immersion inédite et saisissante sur le front ukrainien

Dix, quinze secondes. Il faut un temps d’adaptation pour comprendre que les images qui défilent appartiennent à la réalité. Journaliste à l’Associated Press américaine, le réalisateur Mstyslav Tchernov s’est frotté à la ligne de front pour documenter l’une des contre-offensives ukrainiennes. Et montrer ce que l’on ne voit jamais : la guerre telle qu’elle est. En septembre 2023, il a rejoint avec un acolyte la région de Bakhmout, dans l’est du pays, près de la frontière russe.

Le journaliste ne faisait pas figure d’inconnu aux yeux des soldats. L’an dernier, son film Vingt jours à Marioupol  a offert à l’Ukraine l’Oscar du meilleur documentaire, après avoir reçu un trophée au prix Bayeux des correspondants de guerre en France et un prix Pulitzer aux États-Unis. Le quadragénaire a filmé la ville portuaire aux premiers jours de l’invasion russe. Un char y pointait dangereusement son canon vers les vitres de l’hôpital municipal. Comme les habitants, il avait été pris au piège. Cette fois, c’est lui qui se jette au-devant du danger.

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Un enfer pavé d’embuscades

Un officier de communication, militaire chargé d’aiguiller, de contrôler et d’accompagner la presse, l’accueille dans un QG situé à proximité d’Andriivka. Un village que l’armée veut reprendre. Un chemin de forêt, long de deux kilomètres, les sépare. Cet enfer est pavé d’embuscades. Les officiers tendent leurs nuques rasées vers les moniteurs, où ils suivent l’avancée de leurs « frères » sur leur terrain, harnachés comme des bœufs de labour. Les journalistes vont les rejoindre.

Là-bas, la petite troupe échange des cigarettes et des bribes d’information sur leur vie d’avant. Pas longtemps. Un tir de mortier ou un vol de drone les oblige à quitter leur tranchée. Avec un certain flou chronologique, À 2000 mètres d’Andriivka mêle aux séquences du reporter celles tournées par les caméras embarquées des fantassins. Alors que les radios grésillent d’indications sur la localisation de l’ennemi, des escarmouches s’engagent. La mitraille passe entre les arbres. Les blessés veulent en finir, les survivants en découdre. Andriivka n’est plus très loin.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Quelques soldats, russes ou ukrainiens tombent à l’écran en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Stupeur face à ces morts en direct, rendues plus irréelles encore par les objectifs grand angle, au rendu de jeu vidéo, des caméras embarquées. Ainsi disparaît le commandant en second Gargarin, 24 ans, qui avait suffisamment d’humour pour ironiser peu avant de mourir, face au champ de bataille : « On fait le plus beau métier du monde. » Certains militaires qui répondent ici aux questions de Mstyslav Tchernov ont, eux, perdu la vie après le tournage.

Le sort de ces fantômes ne devrait pas laisser insensible l’académie des Oscars, où ce documentaire au ton résolument pessimiste concourt. Cette fois, dans la catégorie du meilleur film international. Face à des fictions venues du monde entier, il témoignera de la laideur d’une guerre à l’issue toujours plus incertaine. De son absurdité, aussi. Malgré les sacrifices consentis, le village d’Andriivka a déjà été repris par les Russes.


La note du Figaro : 3,5/4