Son regard était à la fois sauvage et doux. Lea Massari, la troublante Anna de L’avventura de Michelangelo Antonioni vient de nous quitter, le 23 juin. Elle vivait à Rome et elle aurait dû fêter 92e anniversaire quelques jours plus tard. Au début de sa carrière, elle prêta ses traits de Diane chasseresse aux plus grands cinéastes italiens. Puis le cinéma français à son tour, inspiré par Claude Sautet qui la choisit au côté de Romy Schneider et Michel Piccoli dans Les Choses de la vie, emploiera ses talents. En 1979, elle reçut sa plus prestigieuse récompense, le Ruban d’argent dans un second rôle dans Le Christ s’est arrêté à Eboli.
Anna Maria Massatani voit le jour à Rome le 30 juin 1933. Elle ne passe pas son enfance en Italie sous l’ère mussolinienne. Elle suit ses parents en Espagne, en France et en Suisse. Après la guerre, elle s’intéresse d’abord à l’architecture. Puis très vite ses yeux et sa démarche indolente de féline sont remarqués par les photographes et les réalisateurs. En 1954, - elle n’a que 21 ans -, Mario Monicelli lui confie le personnage d’Agnese dans Du sang dans le soleil. son destin d’actrice commence. Elle choisit un prénom de scène, Lea, en souvenir de Leo, son premier amour disparu tragiquement, juste avant leur mariage.
À lire aussi Disparition d'Antonioni, le cinéaste de l'amour impossible
En 1960, Michelangelo Antonioni lui demande de jouer Anna dans L’avventura. Son personnage est mystérieux. Anna est passionnée, amoureuse. L’histoire racontera sa disparition et la quête de son amant et de son amie, joués par Gabriele Ferzetti et Monica Vitti, pour la retrouver. Après ce film, considéré par la critique comme un chef-d’œuvre, Lea Massari travaille durant dix ans avec la crème de la crème du 7e art transalpin, alors à son apogée. Mauro Bolognini l’associe à Jean Sorel dans Ça s’est passé à Rome (1960), Dino Risi lui fait partager l’affiche avec Alberto Sordi dans la comédie italienne Une vie difficile, l’année suivante.
À lire aussi Jean Sorel, le bel amoureux
Le premier cinéaste français à la choisir est Alain Cavalier qui la choisit pour jouer au côté d’Alain Delon dans l’Insoumis. Mais c’est bien sûr Claude Sautet qui, d’une certaine manière, deviendra son mentor, en France. Dans Les Choses de la vie, l’actrice italienne devient Catherine, l’épouse de Michel Piccoli (Pierre), qui vit une histoire d’amour avec Romy Schneider (Hélène). C’est une histoire dramatique de couple... à trois. Le film sera le symbole des années 70 et d’une nouvelle façon de comprendre l’amour. Lea Massari, et ses compositions tout en nuances, appartient désormais à l’histoire du cinéma hexagonal. Elle tournera plus vingt fois en France sous la direction notamment de Claude Pinoteau ( Le Silencieux, 1973), de Henri Verneuil (Peur sur la ville, 1975), Jacques Rouffio ( Violette et François, 1977).
C’est en Italie qu’elle finira par obtenir en 1979 la plus belle des reconnaissances de sa carrière. On la retrouve dans Le Christ s’est arrêté à Eboli, sous la direction de Francesco Rosi. Ce film inspiré du roman de Carlo Levi, narre l’exil forcé d’un intellectuel antifasciste en 1935 dans le sud de l’Italie. Gian Maria Volonté le campe. Lea Massari joue son épouse. Dans cette tragédie, elle est troublante de justesse. La critique de l’autre côté des alpes ne s’y trompera pas en lui donnant un prestigieux Ruban d’argent. Son talent le méritait bien.