Le prix Femina est attribué à Nathacha Appanah, pour La Nuit au cœur (Gallimard). Dans la catégorie Étranger, c’est l’Irlandais John Boyne qui a été récompensé pour son roman Les Éléments (Lattès) - déjà sacré par le Prix du roman Fnac. Quant au prix Essai, il a été décerné à Marc Weitzmann, auteur d’un récit très personnel sur Philip Roth, La Part sauvage (Grasset).
En distinguant la romancière Nathacha Appanah, les dames du Femina réparent une sorte d’injustice. L’auteure de La Nuit au cœur aurait dû connaître la joie d’un grand prix d’automne depuis longtemps. En 2016, déjà, avec son remarquable Tropique de la violence, roman choral sur Mayotte. Finaliste du Femina, elle avait été saluée par le prix Femina des lycéens 2016 – les jeunes ont du goût. Les jurés des grandes récompenses littéraires auraient pu même la distinguer en 2007 avec Le Dernier Frère, qui révélait, à travers la rencontre de deux enfants, un pan méconnu de l’histoire, celle de 1500 juifs refoulés de Palestine et déportés à l’île Maurice, alors colonie britannique.
Passer la publicitéElle n’était jamais allée aussi loin, aussi fort
La Nuit au cœur a figuré sur toutes les listes des grands prix. Dès notre premier numéro de la rentrée littéraire, nous avons dit ce que nous pensions de ce grand livre. La romancière écrit sur le sort de trois femmes : Chahinez et Emma ont été tuées par leurs maris. La troisième a échappé à ce destin funeste. C’est elle. Alors, elle décide de prendre la plume. Ce sont 284 pages terribles, sidérantes, d’une puissance littéraire inouïe. Trois histoires de femmes ayant subi une violence extrême de la part d’hommes qui disaient les aimer.
Nathacha Appanah publie depuis 2003, mais elle n’était jamais allée aussi loin, aussi fort, aussi profond. Dans ce texte, elle rassemble et entremêle trois destins. Celui de Chahinez, 31 ans, mère de trois enfants, brûlée vive près de chez elle, à Mérignac. L’assassin n’est autre que son mari, incapable de supporter que sa femme envisage de le quitter. Alors qu’elle courait pour lui échapper, il lui a tiré une balle dans chaque jambe, puis l’a aspergée d’essence. C’était en mai 2021. Emma, 32 ans, trois enfants, excellente cuisinière, entamait une carrière de traiteur à l’île Maurice. En décembre 2000, son mari, au volant d’une voiture puissante, décide de la percuter, puis de lui rouler dessus avant de l’abandonner. Emma était la cousine de Nathacha.
« Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. »En 1998, elle avait 25 ans. Pour fuir les coups et les mots destructeurs de son compagnon, journaliste et poète, elle court d’une pièce à l’autre de la maison. « De ces nuits et de ces vies, de ces femmes qui courent, de ces cœurs qui luttent, de ces instants qui sont si accablants qu’ils ne rentrent pas dans la mesure du temps, il a fallu faire quelque chose. Les écrire, les regarder en face, les peser chacun leur tour et aussi ensemble (...). » De ce récit commun, tressé de trois voix, trois visages, elle dit : « Il y a l’impossibilité de la vérité entière à chaque page mais la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit. »
Avec ce récit, Nathacha Appanah a rendu justice et beauté à Chahinez et Emma, parce qu’elle sait ce qu’elles ont ressenti, et qu’elle refuse de les réduire à leur mort. C’est un texte bouleversant. En lui décernant leur prix, le jury Femina distingue une grande romancière, qui a toute sa place dans ce prestigieux palmarès.