Bridport, dans le comté de Dorset, en Angleterre, à l’aube des années 1980. Alison a 18 ans lorsqu’elle épouse Andrew pour se lancer dans une vie ordinaire, seule voie qui s’offre à elle. «Nous étions juste des enfants de la côte qui choisissaient la voie la plus simple. Et nous n’avons pas songé un instant à une alternative», considère la protagoniste. La désillusion est totale. Les tâches ménagères, l’ennui et la solitude rythment ses journées et la jeune fille cherche le moyen de s’échapper de ce morne quotidien. Sa rencontre avec Patrick, un grand peintre londonien lui offre l’évasion tant désirée. Elle laisse tout derrière elle et part avec lui. Il lui ouvre les portes de la scène artistique de la capitale où elle devra se frayer un chemin pour y trouver sa place. Non sans mal.
Sphère dominée par les hommes
Pour son premier roman graphique, Lizzy Stewart brosse, avec brio, le portrait d’une jeune fille affrontant le chemin escarpé de l’émancipation. Un chemin qui alterne parenthèses enchantées et moments plus âpres. Rien ne disposait cette jeune provinciale à arpenter ce monde d’intellectuels imbu de lui-même et farouchement déterminé à conserver ses privilèges.
Pour échapper à une triste existence, Alison affronte une sphère dominée par les hommes et un système basé sur la légitimité sociale. La plupart nantis, les artistes tolèrent avec condescendance sa présence sans toutefois la laisser entrer dans leur monde. La relation d’Alison et de Patrick est entachée de cette réalité. Tel un pygmalion, l’illustre peintre désire la façonner à son image bridant la créativité de l’artiste en herbe. Alison est enfermée dans une cage dorée de laquelle elle devra aussi se libérer.
Sous forme de journal de vie, où s’entremêle en filigrane l’exploration des coulisses de la scène artistique londonienne des années 1980, Alison à coups de pinceau tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Si l’art offre à la jeune fille une échappatoire salvatrice, les artistes reconnus pétris de diktats et de préjugés, imposent tel livre à lire, telle façon de dessiner, de se comporter en société.
Alison saisit avec douleur que ce monde privilégié composé de peu d’élus qui «ont la liberté de s’affranchir», la cantonne dans un autre carcan. Comment cette jeune provinciale va-t-elle se dépêtrer des pièges de la fascination, de l’emprise ? Elle sait ce qu’elle doit à Patrick et s’enferme dans une déférence totale avant de voler de ses propres ailes. Entre bulles et pages de texte, le lecteur suit la métamorphose de l’héroïne comme une intrigue.
Le trait aquarellé de Lizzy Stewart, appuyé d’un délicat noir et blanc, relaie avec élégance les ambiances, les quartiers de Londres, les expressions des personnages. Son graphisme adoucit un propos assez acerbe tout en célébrant celles qui osent dire non. Avec Lizzy Stewart, la conquête de la liberté devient un art en soi.