François Ecalle : «Je crains qu’il faille attendre une vraie crise» pour sauver les finances publiques

LE FIGARO. - Le 14 avril dernier, dans un cadre assez inhabituel François Bayrou s’adressait aux médias et aux Français pour dire « la vérité » sur nos finances publiques  et s’est livré à un exercice de démonstration de l’étendue de nos déficits.

François ECALLE. - Il a raison. C’est vrai que la situation des finances publiques est inquiétante. Il faudrait prendre des mesures de redressement drastiques. Mais c’est un discours qu’on entend depuis très, très, très longtemps, qu’il porte lui-même depuis très longtemps.

Et toute la difficulté, c’est de prendre des mesures dès aujourd’hui qui traduisent ce discours en actes. Et ça, c’est beaucoup plus compliqué dans la situation politique actuelle.

Dans le rapport qu’ils ont rendu le 15 mars dernier, les députés de la commission d’enquête sur les dérapages des comptes publics en 2023 et 2024, ont été incapables de trancher sur une question : « qui est coupable ? » . N’y en a-t-il pas ?

On a toujours voulu afficher une trajectoire qui puisse rassurer nos créanciers et nos partenaires européens. Mais sans jamais expliquer comment on allait faire pour réduire le déficit public parce que ça demande des mesures très difficiles et en réalité, on ne l’a jamais fait. Les programmes de stabilité n’ont jamais été respectés.

Chacun se dit : pas de sacrifice chez moi, c’est la faute de l’autre. C’est toujours la faute de l’autre

François Ecalle

On parle d’un « biais d’optimisme » dans les rapports de prévisions de Bercy

Dans la sous-direction où je me trouvais il y a 30 ans à Bercy, on avait un jeu de prévisions : des prévisions officielles et puis des prévisions internes destinées au seul ministre qui évidemment étaient beaucoup plus pessimistes.

Pourquoi ?

Parce que depuis la période précédant la création de l’euro, il fallait qu’on ait un déficit public égal à 3 % du PIB. (NDLR : les critères du traité de Maastricht). Depuis, les gouvernements ont toujours voulu afficher une réduction du déficit qui permette de revenir à ce chiffre de 3 % du PIB qui est dans le traité de Maastricht.

Aurait-on menti comme les Grecs qui avaient maquillé leurs comptes pour rentrer dans l’euro ?

C’est un petit peu différent parce que là, il ne s’agit que de tricher avec des prévisions. Une prévision est toujours fausse, toujours discutable. Les Grecs ont fait quelque chose qui était quand même un peu plus grave, qui était de tricher sur les comptes, sur la comptabilité. Dans l’échelle de la gravité, c’était un cran au-dessus.

Existe-t-il avec les économies budgétaires un phénomène comparable à la construction des prisons, des lignes TGV ou autrefois des autoroutes : Tout le monde est pour, sauf chez soi ?

Oui, c’est un peu ça. Il y a un relatif consensus entre les partis politiques, sauf quelques extrêmes et chez les Français sur le fait qu’il faudrait quand même reprendre le contrôle de la dette publique, réduire les déficits, et que la situation actuelle présente des dangers. En revanche, il n’y a aucun consensus sur les solutions à mettre en œuvre pour y arriver. Chacun se dit : pas de sacrifice chez moi, c’est la faute de l’autre. C’est toujours la faute de l’autre.

Invité de « Points de Vue » , sur le Figaro TV, le 14 avril dernier, l’ancien gouverneur de la Banque de France, Jacques de la Rosière dénonçait « la religion des services votés » , la reconduction de toutes les dépenses qui ont été approuvées précédemment par les parlements, parfois il y a cinquante ans. N’y a-t-il pas là un gisement d’économies ?

Si, mais, en fait, on a déjà essayé. Malheureusement. En 2001, a été votée à la quasi-unanimité une « loi organique sur les lois de finances ». C’est une loi « au-dessus » des lois de finances. L’idée à l’époque, c’était déjà de revenir sur ces services votés. On appelait cela une justification. Il s’agissait seulement, dès le premier euro voté, de « justifier » la dépense. Une justification comptable consiste à vous dire par exemple que si vous payez des chômeurs pour creuser des trous, on va vous expliquer qu’il faut x euros pour acheter des pelles pour creuser les trous. Ce n’est pas une évaluation de l’efficacité économique de ces dépenses. Or c’est ce qui manque en France. Quand on en fait une, le décideur n’en tient pas souvent compte.

Face au défi que lance Trump à l’ensemble du monde en matière de droits de douane, il faut que l’Europe reste unie

François Ecalle

Pensez-vous qu’il sera impossible à l’actuel gouvernement de résister aux débats budgétaires de 2026 ? 

Si le sens de la question est «risque-t-il d’être censuré ?» Oui, on peut le craindre

« Quand je relis les notes que j’ai conservées, je suis frappé par la permanence dans le temps des problèmes fiscaux et des mesures qu’il faudrait prendre pour les résoudre », écrivez-vous. En trente ans, rien n’a changé ?

Non, ça n’a pas changé. J’en ai eu l’illustration dans des débats très récents à l’occasion du conclave sur les retraites. L’idée a été avancée qu’il faudrait revoir le financement de la protection sociale. Le Medef, par exemple, s’est demandé si on ne pouvait pas remplacer des cotisations sociales par de la TVA. D’autres ont parlé de CSG, puis revient à ce moment-là l’idée de financer la protection sociale par la taxation des robots. Ce sont des débats qu’on avait déjà il y a 30 ans. À l’époque, il y avait eu un livre blanc sur le financement de la protection sociale. La conclusion était très simple : cela ne sert à rien d’essayer de trouver une recette miracle qui permette de financer la protection sociale si les dépenses sociales continuent à augmenter plus vite que l’activité économique, On en est toujours là.

Pourquoi vous avez titré vos mémoires « Mécomptes publics »

C’est un espoir déçu. Réformer l’État, reprendre le contrôle de nos finances publiques : j’avais cet espoir, il y a trente ans, notamment quand j’étais au ministère des Finances, puis à la Cour des comptes. Mais pour le moment, on en est encore loin.

Vous avez publié un nombre incalculable de notes. N’avez-vous pas eu le sentiment de jeter des bouteilles à la mer ?

Il faut avoir la foi en matière budgétaire, si j’ose dire. Il faut espérer malgré tout que quelqu’un trouvera la bouteille ou que quelqu’un entendra le prophète qui crie dans le désert. Mais pour le moment, je ne l’ai pas encore beaucoup vu.

En quoi, pour reprendre votre formule, « le SMIC est un tabou en France »
Pour une très bonne raison : on ne veut pas avoir de travailleurs pauvres. Le salaire minimum, c’est très bien. La plupart des pays en ont. Mais il ne faut pas qu’il soit à un niveau trop élevé. La caractéristique du SMIC français, c’est que, en pourcentage du salaire moyen médian, c’est le plus élevé de l’Union européenne. Cela pose un problème.

Lequel ?

Un problème de coût pour les entreprises, donc de compétitivité, et donc pour recruter en particulier des gens qui sont peu qualifiés parce que ça leur coûte très cher de recruter ces personnes. Pour alléger ce coût pour les entreprises, on a réduit les cotisations sociales et patronales au niveau du SMIC. On a commencé, il y a 30 ans, on a continué. Mais si le SMIC continue à augmenter trop vite, c’est une espèce de course entre le SMIC d’un côté et les allégements de cotisations de l’autre qui ne s’arrête pas.

Est-il possible de réformer « en pleine guerre commerciale » ?

C’est beaucoup plus compliqué, plus difficile. Je le reconnais.

Que vous inspire d’ailleurs à cet égard, la visite de Georgia Meloni à Washington pour amadouer Donald Trump  ?

Face au défi que lance Trump à l’ensemble du monde en matière de droits de douane, il faut que l’Europe reste unie. La seule façon de répondre, c’est que nous-mêmes, on augmente de manière uniforme nos propres droits de douane ou qu’on ait une riposte ciblée. Mais si on fait ça les uns après les autres, et chacun dans son coin, on est fini.

Peut-on en France prendre les décisions qui s’imposent pour sauver les finances publiques pacifiquement ou hors crise ?

Malheureusement, j’en doute de plus en plus. Je crains qu’il faille attendre en effet une vraie crise et une intervention extérieure pour qu’on le fasse.

Mécomptes Publics , conception et contrôle des politiques économiques depuis 1980, Ed. Odile Jacob, 24,90€