«Êtres meubles», peine de mort... Qu’est-ce que le Code noir que François Bayrou a promis d’abolir ?
Le premier ministre a pris l’engagement, mardi 13 avril lors de la séance de questions d’actualité au gouvernement, qu’un texte «actant l’abolition du Code noir» sera présenté au Parlement. Quelques instants plus tôt, le député Laurent Panifous, président du groupe Liot, demandait à François Bayrou l’abolition de cette «ignominie» édictée en 1685 par Louis XIV qui régissait et légiférait l’esclavage dans les colonies françaises. «Si l’on peut croire que le décret de l’abolition de l’esclavage de 1848 a abrogé le Code noir, il n’en est rien. Aucun texte ne l’a formellement aboli», a argué l’élu de l’Ariège. «Grâce à votre question, je découvre cette réalité juridique que j’ignorais absolument», a reconnu dans sa réponse le locataire de l’hôtel de Matignon.
Aussi appelé «Édit du roi servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de Justice et la police des îles françaises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce nègres et esclaves», le Code noir réuni en 60 articles les lois relatives aux colonies françaises dans toutes leurs dimensions : sociales, religieuses, juridiques et économiques. Il en existe deux versions : l’une en partie élaborée par le ministre Colbert et son fils, le Marquis de Seignelay, secrétaire d’État à la Marine, et promulguée par Louis XIV en 1685 ; l’autre promulguée par Louis XV en 1724. Aboli pendant la Révolution française, le texte avait été rétabli sous Napoléon en 1802. S’il n’a jamais été formellement abrogé, il a cessé d’être effectif avec l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises d’Outre-mer en 1848.
«Oreilles coupées»
Le «Code noir», intitulé ainsi en 1712 sous la Régence de Philippe d’Orléans, encadrait particulièrement les aspects de la vie et des relations entre les maîtres et les esclaves noirs des colonies. Il régissait aussi, et surtout, le statut de ces derniers, déclarés comme «être meubles», c’est-à-dire susceptibles d’être acquis par un maître. L’édit indique également que les enfants «qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents».
Plusieurs articles régissent les sanctions et sévices que subissaient les esclaves «criminels», «rebelles» ou «désobéissants». «[Celui] qui aura frappé son maître, sa maîtresse (...) avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort», dispose l’article 33. «Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, canne à sucre (...) seront punis selon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s’il y échet, les condamner d’être battus de verges par l’exécuteur de la haute justice et marqués d’une fleur de lys», encadre l’article 36. Autre exemple : un esclave fugitif «qui aura été en fuite pendant un mois (...) aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis une épaule». «S’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort», indique l’article 38.
Aux yeux de cette loi, les esclaves ne pouvaient «être pourvus d’office ni de commission ayant quelque fonction publique, ni être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérer et administrer aucun négoce». Ils ne pouvaient en sus «ni être arbitres, experts ou témoins, tant en matière civile que criminelle : et en cas qu’ils soient ouïs en témoignage, leur déposition ne servira que de mémoire pour aider les juges à s’éclairer». En outre, le Code noir annihilait leur droit à la propriété : «Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres.»
Les derniers articles de l’édit, eux, encadrent les conditions de vente ou d’affranchissement. Les esclaves pouvaient être rendus libres par «les maîtres âgés de vingt ans», ou s’ils étaient faits légataires universels «par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs testaments ou tuteurs de leurs enfants». Une fois affranchis, ils bénéficiaient des mêmes droits, privilèges et immunités que les personnes nées libres.
Des devoirs pour les «maîtres»
Le texte délimite également les obligations des maîtres envers leurs esclaves. «Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses équivalentes, avec 2 livres de bœuf salé, ou 3 livres de poisson (...) : et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus», est-il possible de lire dans le texte. «Seront tenus les maîtres de fournir à chaque esclave, par chacun an, deux habits de toile ou quatre aunes de toile, au gré des maîtres», ajoute l’article 23.
Les maîtres pouvaient aussi être condamnés. «Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement [ceux] qui auront tué un esclave étant sous leur puissance ou sous leur direction et de punir le meurtre selon l’atrocité des circonstances», explique l’article 43. Autrement dit, le maître ou le contremaître qui tue un esclave se rend coupable d’un crime. Ou encore : «Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’auront mérité les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes. Leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves», précise l’article précédent. En sus, les maîtres n’entretenant pas selon la loi leurs esclaves «infirmes par vieillesse» ou «malades» étaient condamnés à des amendes.
«Tous les esclaves seront baptisés»
Le Code noir encadrait de même la pratique religieuse. Son article 2 dispose que «tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine». Tout exercice public d’une autre religion était fermement interdit et puni - les «commandeurs à la direction» des esclaves étaient soumis à la même obligation. L’édit royal de 1685 exhorte également «tous les sujets d’observer les jours de dimanches et de fêtes» et interdit le travail des esclaves «auxdits jours».
Enfin, les «sujets» non-catholiques étaient interdits «de contracter à aucuns mariages valables» et les enfants qui naissaient d’unions ne répondant pas à la loi étaient déclarés «bâtards».
«En répondant favorablement à cette demande solennelle, François Bayrou engage l’État à poser un acte historique, de reconnaissance et de dignité. Le symbole est fort, ont salué dans un communiqué les députés Liot de la Guadeloupe Max Mathiasin et Olivier Serva, rapporte France Info. Il ne fera pas oublier l’histoire, mais honorera celles et ceux qui en ont souffert. Nous parlons ici de dignité humaine que l’on doit à ces femmes et ces hommes mis en captivité, et à leurs descendants, au nom de la justice réparatrice.»