Nantes: mais où est passé le bras de la statue qui symbolise la ville?

Imaginez, à New York, la Statue de la Liberté amputée, ou le Christ Rédempteur de Rio soudainement manchot. Voilà peu ou prou l’état dans lequel se trouve la statue symbolisant la ville de Nantes, qui surplombe la fontaine de la place Royale, en centre-ville. À la différence cependant de ses immenses cousines américaines et brésiliennes quotidiennement mitraillées de photos, la sculpture nantaise a perdu un avant-bras dans une relative discrétion. Presque dans l’indifférence. Du moins, avant qu’une association locale ne finisse par remarquer ce soudain handicap, samedi 16 février.

«Le marbre, c’est costaud , ça ne tombe pas comme ça. En tout cas pas tout seul ; il y a dû y avoir un choc violent», estime Yannick Royer. Président du collectif des Bains-douches de Nantes, cet amoureux du patrimoine a découvert la semaine dernière l’étrange mutilation de la statue, alors qu’il passait place Royale, pour les besoins de ses travaux sur le sculpteur Daniel Ducommun du Locle. Et s’est étonné de l’absence de toute communication de la mairie à ce sujet.

Une mise «à l’abri»

Sollicitée par Le Figaro, la ville de Nantes indique que l’avant-bras de la statue est tombé «mi-janvier», en raison de «l’usure du monument», sans offrir plus d’explications. La pièce manquante a été récupérée par les agents municipaux et se trouverait désormais «bien à l’abri». Un diagnostic préalable à une campagne de restauration de la statue - et du reste de la fontaine - a été diligenté par les services de la ville. Lundi matin, Le Figaro a pu constater la pose d’un grillage autour de la fontaine.

Des explications qui laissent Yannick Royer sur sa faim. «Il ne s’agit certainement pas de la simple usure du temps», note le Nantais, qui estime que les intempéries de la Loire-Atlantique ont été bien aidées par des décennies de «laisser-faire» manifeste des autorités, lors des nombreuses manifestations - festives ou politiques - de passage sur la place Royale. «Il y a un laxisme évident, poursuit le défenseur du patrimoine. À chaque grosse manifestation, des dizaines d’individus grimpent sur la fontaine et sur la statue, parfois même sur sa tête. Ces incivilités sont dangereuses pour le monument, qui subit à chaque fois de petites dégradations - des goulottes déplacées, des génies déboîtés -, mais également pour les personnes qui s’adonnent quelquefois à ces escalades en état d’ébriété». Plusieurs courriers adressés à ce sujet par le collectif ont été ignorés par la mairie de Nantes.

Des supporteurs du FC Nantes juchés sur la fontaine et la statue de la place Royale à Nantes, après la victoire du club en Coupe de France, le 7 mai 2022. SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Détail troublant, la perte de l’avant-bras de la statue n’est pas la première brimade endurée par le monument. L’allégorie de Nantes tenait en effet, à l’origine, le trident de Neptune dans sa main droite, en référence à la devise municipale «Favet neptunus eunti» - «Neptune favorise ceux qui voyagent». Volée en mai 1968, cette pièce de bronze a été remplacée par fac-similés en bois jusqu’à ce qu’un énième chapardage n’entraîne la chute de la main de la statue, en 2007. «Comment expliquer que la préservation des dizaines d’autres statues à tridents qui peuplent les villes européennes ne semble pas causer autant de problèmes ?», s’interroge Yannick Royer, malgré tout satisfait de la campagne de restauration qui s’annonce. «C’est frustrant. La fontaine est un chef-d'œuvre qu’il convient de mieux protéger.»

Inaugurée en 1865, la fontaine de la place Royale est l’œuvre du sculpteur Daniel Ducommun du Locle et de l’architecte Henri Driollet. Érigé au centre de l’ancien haut lieu du commerce nantais, réaménagé au milieu du XIXe siècle, le monument exalte la prospérité fluviale et maritime de Nantes. Cet ensemble est construit autour de l’allégorie de la ville de Nantes, sculptée selon le modèle de la déesse grecque Amphitrite, et couronnée d’une tiare figurant les murailles du château des ducs de Bretagne. À ses pieds, les gerbes d’eau émanent et entourent le reste du groupe statuaire, composé de petits génies et des personnifications en bronze de la Loire et de ses affluents.