Le Premier ministre face aux attentes des paysans

Gérard Le Puill

Après avoir déployé d’importantes forces de police pour bloquer les manifestations de la Coordination rurale durant le premier week-end de l’année, François Bayrou reçoit les syndicats paysans ce lundi. Demain, il prononcera son discours de politique générale devant les députés à partir de 14 heures.

Depuis qu’Emmanuel Macron a été élu président de la République face à Marine Le Pen en 2017, puis à nouveau en 2022, la situation économique et sociale qu’il impose au monde paysan n’a cessé de se dégrader en France. Pour l’essentiel, il s’agit du résultat des promesses non tenues par ce même président de la République. En témoigne le manque d’efficacité des trois versions de la Loi Egalim votées depuis 2018 par une majorité de parlementaires. À Rungis le 11 octobre 2017, Emmanuel Macron déclarait à l’attention des paysans : « Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production ».

L’utilisation du conditionnel montrait que le chef de l’État ne souhaitait guère tenir cette promesse. Depuis sept ans à l’Élysée, ce président des riches ne cesse, par sa politique du « et en même temps », de nier dans une phrase la promesse de politique sociale faite dans la phrase précédente. Mais les Français ne sont pas dupes. Pour preuve, selon un sondage IPSOS pour La Tribune publié ce week-end, ils ne sont plus que 21% à se dire favorables à sa politique tandis que 75% se disent défavorables, seulement 4% se disant sans avis sur la question posée.


La suite du discours prononcé un Rungis en octobre 2017 confirmait le double langage présidentiel par cette autre phrase prononcée dans la foulée concernant la formation des prix en tenant compte de l’évolution des coûts de production: « Mais cette nouvelle approche ne saurait suffire car elle ne sera efficace que si les agriculteurs se regroupent véritablement en organisations de producteurs pour peser plus dans les négociations en tirant profit des possibilités du droit de la concurrence », disait-il à l’adresse des paysans.


Le discours délibérément trompeur prononcé à Rungis


Depuis sept ans, nous ne cessons de l’écrire dans l’Humanité : peser dans la négociation en tirant profit des possibilités de la concurrence est impossible quand on vend des produits périssables, qu’il s’agisse des fruits et légumes ou du lait de vache, de brebis ou de chèvre. Concernant les céréales et la viande, les prix indicatifs continuent d’être fixés semaine après semaine, voire jour après jour, dans les salles de cotation en fonction de l’évolution l’offre par rapport à la demande au niveau mondial. À titre d’exemple, le prix de la tonne de blé rendue au port de Rouen pour l’exportation évoluait entre 200 et 229 euros durant les années 2023 et 2024, contre une moyenne de 300 euros en 2022.


Entre temps, les 27 pays membres de l’Union européenne -dont la France- ont permis à l’Ukraine d’exporter son blé en Europe sans droits de douane, ce qui s’est traduit par une réduction sensible des volumes vendus par la France dans les pays européens déficitaires en blé tendre. Parallèlement, le blé russe, meilleur marché et de meilleure qualité car plus riche en protéines, prenait des parts de marché au détriment du blé français au Proche Orient et en Afrique. Autant on peut considérer que l’invasion d’une partie de l’Ukraine par la Russie de Poutine est condamnable, autant il convient d’ajouter que nos paysans ne doivent pas payer le prix de cette guerre, sachant que les exportations de l’Ukraine en Europe ont aussi fait reculer le revenu de nos producteurs de betteraves à sucre, de maïs, de tournesol et de volailles de chair.


Recul de la production et baisse des prix payés aux paysans

Des conditions climatiques défavorables ont fait reculer la production française de céréales de 25% en 2024 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. En France néanmoins, la persistance des prix bas dans plusieurs filières a fait reculer de -7,7% la richesse agricole créée par actif en 2024, selon l’INSEE. Toutes productions confondues, la baisse moyenne des prix payés aux paysans français en 2024 a été de – 6,8% tandis que la baisse des volumes produits était aussi de – 6,8% du fait des aléas climatiques. La valeur des productions végétales au départ de la ferme a chuté de – 13,1% en moyenne et elle atteignait -16,3% pour les céréales. Les prix des porcs ont baissé de -7,1% et ceux des volailles de chair de – 8,4%.

Au terme de cette année catastrophique pour le revenu paysan, la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Montevideo en décembre pour signer l’accord de libre-échange conclut en 2019 entre l’Europe des 27 et les pays du Mercosur, mais pas encore ratifié par les pays membres de l’Union européenne. S’il l’était prochainement, il permettrait à ces pays d’accroître leurs exportations de viandes bovines, de volailles, de maïs et de sucre de canne en Europe sans droits de douanes et avec des tarifs réduits sur d’autres volumes . Depuis 2019, le président Macron avait souvent déclaré que cet accord défavorable aux intérêts de l’agriculture française ne pouvait pas être approuvé « en l’état ». Mais, curieusement, il demeure muet sur le sujet depuis qu’Ursula Von der Leyen est allée de ratifier à Montevideo. Pourtant, le 26 novembre dernier, 480 députés, membres de tous les groupes parlementaires, ont voté contre la ratification de cet accord à l’Assemblée nationale, tandis que seulement 70 de leurs collègues votaient pour.


Il reste à voir si le Premier ministre osera aborder ce sujet demain lors de son discours de politique générale après avoir rencontré la veille les responsables des syndicats paysans, tous hostiles à la ratification de cet accord.