Décès Geneviève Page, gloire du théâtre, à l’âge de 97 ans

Geneviève Page, gloire du théâtre qui incarna aussi au cinéma une tenancière de maison close de luxe recrutant Catherine Deneuve dans Belle de jour en 1967, est décédée vendredi à Paris à l’âge de 97 ans, a annoncé à l’AFP sa petite-fille, la comédienne Zoé Guillemaud. La comédienne, qui a marqué le théâtre classique et le cinéma en cinquante ans de carrière, est décédée à son domicile, a précisé la même source.

Fille d'un galeriste, Geneviève Page avait achevé sa carrière au théâtre en 2011 avec Britannicus de Racine, sous la direction de Michel Fau, au Festival de théâtre de Figeac. «Elle m'avait raconté qu'elle avait joué “Le Soulier de satin” de Claudel puis “Le Canard à l'orange” avec Jean Poiret», disait le metteur en scène. « Je me suis beaucoup amusée et j'ai reçu beaucoup », assurait la comédienne aux beaux yeux verts malicieux.

Née Geneviève Anne Marguerite Bonjean, le 13 décembre 1927, dans le 16e arrondissement de Paris, mariée à Jean-Claude Bujard, elle avait pour parrain Christian Dior. Après son baccalauréat, comme son père féru d'art et de littérature, elle entre à l'École du Louvre.

Plus théàtre que cinéma

C'est à 26 ans, en 1953 en tournant dans Lettre ouverte à un mari, une comédie d'Alex Joffé avec Robert Lamoureux qu'elle décide de devenir comédienne. Le public l'applaudit lors de la projection du film : «J'ai eu l'impression que je suis devenu actrice à cette seconde.» Elle a alors intégré le Conservatoire d'art dramatique de Paris, puis la Comédie-Française et travaille avec la compagnie Jean-Louis Barrault qui la dirigera dans Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Grâce à celui qui deviendra son ami, Gérard Philipe, Geneviève Page entre au TNP, côtoie Jean Vilar et donne donc la réplique à Gérard Philipe dans Lorenzaccio et Les Caprices de Marianne.

L'actrice incarne de grandes héroïnes, Doña Proueze (Le Soulier de satin) ou Hermione (Andromaque). Elle est aussi dans La Nuit des rois, une «dramatique» de Claude Barma. Sa performance dans Les Larmes amères de Petra Von Kant de Rainer Werner Fassbinder, au Théâtre National de Chaillot en 1980 lui vaudra le Prix de la meilleure comédienne du Syndicat de la critique.

« Le théâtre, ça commence et ça finit, comme dit Claudel. On rentre à 8 heures et demie en scène et à minuit moins le quart, on est mort dans des tourments affreux! »

Geneviève Page, comédienne

Geneviève Page préférait le théâtre au cinéma, mais ce dernier ne pouvait pas se passer de son physique altier. Le «coitus interruptus», ce n'était pas son « truc », disait-elle. «Le théâtre, ça commence et ça finit, comme dit Claudel. On rentre à 8 heures et demie en scène et à minuit moins le quart, on est mort dans des tourments affreux!».

Une large filmographie

Ce qui ne l'a pas empêchée de tourner dans de nombreux films, en France et aux États-Unis où elle s'est distinguée aussi au théâtre dans The Happy Time de Samuel Taylor avec Laurence Olivier. À l'écran, elle s'illustre pour la première fois dans un policier Pas de pitié pour les femmes, de Christian Stengel, avec Simone Renant, Michel Auclair et Marcel Herrand (1951). Puis, elle est une sacrée Marquise de Pompadour dans Fanfan la Tulipe, du « très courtois » Christian-Jaque, où elle retrouve Gérard Philip. « Quand on se voit avec Gina Lollobrigida, on se tombe dans les bras, alors qu'à l'époque je l'ai peu vue ».

Luis Buñuel m’avait demandé de l’embrasser sur la bouche sans la prévenir. Je lui avais répondu que si elle me fichait une baffe, je lui en rendrais une

Geneviève Page, comédienne

Pendant le tournage de L'énigmatique monsieur D., (Foreign Intrigue) de Sheldon Reynols, Robert Mitchum lui « sauve la vie » en lui évitant de recevoir un projecteur sur la tête. « Il aimait boire du pastis », rigolait-elle. Dans Mayerling, elle est la partenaire d'Ava Gardner. Dans Belle de jour de Luis Buñuel, elle joue avec jubilation Madame Anaïs, une mère maquerelle (1967). « On va vous trouver un prénom très simple, très coquet », signale-t-elle à l'innocente Catherine Deneuve. « Luis Buñuel m'avait demandé de l'embrasser sur la bouche sans la prévenir. Je lui avais répondu que si elle me fichait une baffe, je lui en rendrais une. » (Le Point, juillet 2013).

Geneviève Page est encore dans Cherchez la femme, Michel Strogoff, de Carmine Gallone, surnommé le Commandeur, avec Curd Jürgens qui avait peur des chevaux. Puis dans Un amour de poche de Pierre Kast, aux côtés de Jean Marais et d'un débutant Jean-Claude Brialy : « j'ai appelé mes agents pour leur dire, « prenez-le tout de suite. ». Dans Le bal des adieux, de George Cukor (1960), Dirk Bogarde est adorable: « C'était un rêve, il répétait avec vous… Il nous cuisinait une dinde à l'ananas près de sa piscine ».

Le Prix Plaisir du théâtre

L'actrice s'illustre dans une superproduction qui sera couronnée de trois oscars: Le Cid (El Cid) d'Anthony Mann avec Sophie Loren qui devient la marraine de son fils et Charlton Heston qui était resté un proche. « Ne criez pas sinon je deviens frigide », prévient Geneviève Page à l'adresse du cinéaste. L'un de ses plus beaux souvenirs était son rôle de Gabrielle Valladon, la «méchante» dans La Vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes), de Billy Wilder (1970).

Ouverte, elle ne s'interdisait aucun rôle. Elle est ainsi une veuve nymphomane dans Buffet Froid (1979). Elle y retrouvait Bernard Blier avec lequel elle avait joué une pièce de Marcel Achard. Le comédien lui fait des farces avec la complicité de Gérard Depardieu et de Jean Carmet. Dès qu'elle le pouvait, Geneviève Page revenait sur les planches. En 1991, le metteur en scène espagnol Lluis Pasqual la dirige dans Le Balcon de Jean Genet à l'Odéon. Elle avait obtenu le Prix Plaisir du théâtre 1997 pour Colombe de Jean Anouilh monté par Michel Fagadau dans lequel elle incarnait madame Alexandra. En parallèle, elle avait enseigné son art.