«Seuls, nous ne pourrons pas le faire» : à Bazas, le triple portail gothique de la cathédrale doit être consolidé de toute urgence
Le triple portail de la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Bazas, érigée au XIIIe siècle, saccagée par les Huguenots en 1578 et à la Révolution mais toujours reconstruite, sera-t-il prochainement sacrifiée ? «Quand on voit les vicissitudes qu’a subies cette cathédrale et qu’elle a toujours été reconstruite par nos ancêtres... Ce serait leur faire honte de la laisser tomber en ruine», répond d’emblée Marie-Bernadette Dulau, adjointe à la culture et au patrimoine de la commune.
«Cette cathédrale est la pierre angulaire de Bazas, même historiquement, elle porte tout», la soutient Romain Espagnet, le responsable du service culture et patrimoine. Tandis que la maire, Isabelle Dexpert (PS), confirme l’attachement de la commune à ce monument historique, classé depuis 1940 et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998 au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. «La population, qu’elle aille à l’office ou non, est très attachée à cette cathédrale qui est le décor principal de la vie bazadaise. Elle fait partie de notre vie car nous nous nourrissons de notre patrimoine pour passer à demain», déclare ainsi l’édile.
«Nous n’avons pas les moyens»
Mais la volonté politique ne suffit pas toujours. Avec un budget de fonctionnement global de quatre millions d’euros, cette commune de 5000 âmes ne parvient plus à supporter financièrement son héritage. Et pour cause : depuis les années 2000, près de deux millions d’euros ont déjà été investis pour restaurer le clocher, le fronton et la partie sud de l’édifice (du pavé aux charpentes). Malheureusement, de nouveaux travaux sont à prévoir. C’est désormais le triple portail gothique de la bâtisse catholique qui s’effrite. Le devis qui permettrait de le consolider s’élève à trois millions d’euros. «Il y a urgence. Nous sommes prêts à arrêter les autres travaux pour nous en occuper, sinon il ne va rien en rester», alerte Marie-Bernadette Dulau. Une réelle restauration coûterait, elle beaucoup plus cher.
Or, la cathédrale de Bazas appartient à la commune et non à l’État. L’affaire n’est pas commune, mais le diocèse de Bordeaux dispose en effet de deux cathédrales. Celle de Saint-André, située à Bordeaux même (place Pey-Berland face à la mairie), et celle de Saint Jean-Baptiste, à Bazas. La première appartient à l’État et bénéficie actuellement de travaux qui l’inscrivent dans les siècles à avenir ; la seconde est à la charge de Bazas, commune de 5000 âmes. «On est fier et heureux d’avoir cette cathédrale ; Mais nous avons la gloire sans l’argent. Il y a urgence à réparer ce triple fronton et pourtant, seul, on ne pourra pas le faire», s’inquiète la maire de Bazas.
La fille de Bernard Arnault mariée à Bazas
Et le classement de l’édifice religieux au monument historique n’y changera rien a priori, car la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) a l’interdiction légale de subventionner ce chantier à plus de 40%. «Si nous n’avons que les 40% de la Drac - si nous les avons -, nous ne pourrons pas financer le chantier. Nous sommes dépositaires d’un patrimoine exceptionnel, mais nous n’avons pas les moyens de l’entretenir», insiste l’élue face à la situation cornélienne.
Démunie, l’équipe municipale s’apprête à présenter un dossier à la fondation du patrimoine. Elle compte aussi sur les dons de grands mécènes. Bernard Arnault, dont le groupe possède le prestigieux château d’Yquem situé à proximité, sera-t-il l’un d’eux ? En 2005, sa fille Delphine s’était mariée sous les voûtes de la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Bazas... À en croire l’équipe municipale, la question ne devrait même pas se poser tant le devoir de préservation de l’édifice est évident. «La mairie est pleine de bonne volonté, mais à ce stade tout don que nous pourrons recevoir serait du bonus . Nous ne sommes qu’un maillon, il faut que cette cathédrale perdure, mais c’est trop lourd pour notre petite commune», reconnaît Juliette de Cerval, la présidente des Amis de cathédrale de Bazas.
Un mobilier liturgique à préserver
D’autant que, en plus du bâti, la commune doit assurer la restauration du patrimoine mobilier religieux - tout aussi exceptionnel - qu’abrite le bâtiment. L’association, qui organise des concerts pour se constituer une trésorerie, a ainsi déboursé 15.000 euros l’an dernier pour la restauration de quatre tableaux. Les quatre représentations de Docteurs de l’Église signées par le peintre Nicolas Bertin et classées monuments historiques, appartiennent à la collection du Louvre. Elles avaient été offertes par Louis XVIII à Bazas, en 1820, en reconnaissance de la loyauté de la bourgade durant la deuxième restauration.
Signé par l’illustre facteur d’orgues Georges Wenner, le grand orgue de la cathédrale de Bazas (dont 561 des 1796 tuyaux sont encore d’époque) a lui aussi été récemment restauré à grands frais. Quant au tapis d’Aubusson qui orne le marbre sous le maître-autel, lui aussi nécessite une restauration avant que les armoiries de la ville et la représentation de la décollation de Saint Jean-Baptiste ne s’effacent. «Mort ou vif, je la restaurerai», avait dit Mgr Arnaud de Pontac, évêques de Bazas, après la destruction de la cathédrale par les Huguenots au XVIe siècle. Cinq siècles plus tard, les Bazadais demeurent fidèles à cette devise qu’ils ont fait placarder sur la pierre du transept de leur lieu saint.