REPORTAGE. "On a tout de suite compris qu'on avait un rôle à jouer" : en pleine guerre entre Israël et le Hamas, l'autre combat des journalistes de "+972"
+972, c’est l’indicatif téléphonique en Israël et Palestine, mais c’est aussi le nom d’un journal en ligne qui se distingue dans le paysage médiatique israélien. Quand les médias traditionnels juifs israéliens s’en tiennent à ce que leur armée communique sur ses opérations dans la bande de Gaza, l'équipe de +972 n’hésite pas à dénoncer les morts de civils palestiniens par milliers, et à appeler à l’arrêt des combats. Ce n’est pas un hasard : le journal, engagé à gauche, est le seul en Israël à faire travailler ensemble des journalistes juifs et arabes.
Ghousoon Bisharat, la rédactrice en chef palestinienne du journal en ligne +972, n'est pas prête d'oublier la première conférence de rédaction au soir du 7 octobre : "On était sous le choc, on a tout de suite compris qu'on avait un rôle très important à jouer, qu'on allait être parmi les seuls à appeler à une solution politique à ce conflit, à ne pas lancer une guerre à Gaza, à voir les victimes des deux côtés", explique-t-elle à franceinfo.
"Ils préfèrent ne pas savoir"
Dans les médias juifs israéliens, que connaît bien Meron Rapoport pour y avoir travaillé, le débat est devenu impossible après le 7 octobre : "Il y a une ligne officielle que tous les médias acceptent. Si vous doutez de la version du gouvernement et de l'armée, vous êtes comme un traître." Et la rédaction de +972 n’échappe pas à la règle, elle qui est aussi la seule à publier des articles signés, sous les bombes, par des journalistes gazaouis.
Yonit Moses travaille pour le site en hébreu :"Notre collègue de Gaza City, on n’a pas eu de ses nouvelles pendant deux semaines, c'était effrayant. Ses reportages sont terribles, c’est très dur pour lui et le public israélien ne veut rien savoir de tout ça. S’ils connaissaient tous les détails de cette guerre, ils la soutiendraient moins. Alors, ils préfèrent ne pas savoir."
Dans ce contexte, l'engagement du média en ligne contre l'occupation et pour la paix lui vaut des menaces depuis 2 mois. Menaces prises très au sérieux par le directeur du journal Hagaï Matar : "Personnellement je vis avec cette peur que ma maison soit attaquée. Mais en même temps, nous dans l'équipe des juifs israéliens on est les moins exposés au danger. On a des collègues palestiniens d'Israël qui ont bien plus peur d'être arrêtés que nous et des collègues à Gaza dont la vie est vraiment en danger."
Hagaï Mattar rappelle qu'une soixantaine de reporters a déjà trouvé la mort en couvrant cette guerre ce qui en fait la plus meurtrière pour les journalistes ces trente dernières années.