«C’était notre vie en mieux!» : des fans racontent l’âge d’or de Disney Channel, sauvée in extremis de la fermeture en France
Lorsque les quatre notes du jingle de Disney Channel retentissent, Lucile*, 31 ans, a de nouveau huit ans. Cette Parisienne qui travaille dans l’audiovisuel a grandi postée devant sa télévision. «J’ai été élevée par Disney Channel, ensuite par mes parents», s’amuse-t-elle. «Ils ne contrôlaient pas mon temps d’écran alors, quand je ne jouais pas, j’étais branchée dessus le soir après l’école et le week-end», explique la jeune femme.
Après 27 années à divertir les enfants et les adolescents, la chaîne américaine a failli disparaître du petit écran français. Longtemps disponible via l’offre CanalSat, elle a ensuite été diffusée par les autres opérateurs de 2011 à 2020, avant que les droits ne soient rachetés en exclusivité par Canal+, dont le contrat prenait fin à la fin de l’année 2024. Le groupe de Vincent Bolloré a annoncé, en novembre dernier, ne pas renouveler son partenariat pour des raisons stratégiques et financières, provoquant la déception des fidèles de longue date très attachés la chaîne. Comme Victoire, qui estime avoir ressenti «un pincement au cœur», car c’est «tout un pan de [s]on enfance qui s’effondre».
Depuis 2020 et le lancement de la plateforme de streaming Disney+, la chaîne pour ado disparaît de la télévision de nombreux pays. L’Italie dès 2020, suivie par l’Australie, plusieurs états de l’Asie du Sud-Est, le Royaume-Uni et dernièrement l’Espagne et le Brésil. Toutefois, Mickey est particulièrement apprécié en France. Vendredi 20 décembre, la chaîne a été sauvée in extremis par Orange et Free qui incluront Disney Channel dans leur offre dès le 1er et 2 janvier. Un beau cadeau de Noël pour ces enfants devenus grands, qui reviennent, pour Le Figaro, sur l’âge d’or de cette chaîne au début des années 2000.
«C’était notre vie en mieux»
Quand Victoire repense à cette période, elle ne peut que penser aux personnages des programmes. Depuis, certains sont devenus des stars d’Hollywood ou de l’industrie musicale. Hillary Duff, Miley Cyrus, Zac Efron, Selena Gomez ou plus récemment Zendaya... les fidèles de Disney Channel avaient l’impression de les connaître intimement. Telle était la force de la chaîne : que les jeunes téléspectateurs s’identifient aux personnages - pourtant bien plus âgés en réalité - frôlant pour certains l’admiration.
Lucile a été fan pendant des années de la série Lizzie McGuire, dont le protagoniste éponyme est joué par Hillary Duff. «Je la voyais un peu comme une grande sœur.» Enfant, elle rêvait que sa future vie d’adolescente ressemble à celle de son héroïne mise en scène dans chaque épisode : «la partie de bowling», «premier baiser», «la fête chez Kate»... «C’était notre vie en mieux !», résume Victoire, enjouée. Comme la popstar à la frange blonde, Hannah Montana, la Parisienne s’inventait «une vie entre deux mondes» : écolière la journée et star de la chanson le soir. «Je voulais devenir chanteuse, comme Miley Cyrus», confie-t-elle avec sérieux. Avec du recul, la jeune femme de 24 ans estime qu’«aujourd’hui, les jeunes s’identifient aux influenceurs, alors que nous, on s’identifiait aux acteurs Disney». Même si certains programmes laissaient place au fantastique, comme Phénomène Raven. Dans cette série, le personnage Raven «voyait l’avenir à travers des visions», ce qui émerveillait Périne, 30 ans.
Quand Thibaut visionnait ces programmes, il avait l’impression de faire «comme les grands». «Les séries Disney, c’était le Friends des enfants», résume le journaliste. Ce jeune homme de 29 ans appréciait particulièrement les «thématiques réelles et morales» qui étaient abordées dans chaque épisode des sitcoms comme l’amitié, l’écologie ou le passage de l’enfance à l’âge adulte. Parfois, Mathilda regardait La Vie de Palace de Zack et Cody avec son père qui se laissait facilement prendre au jeu. «Disney sait manier l’humour à double entrée qui s’adresse à la fois aux parents et aux enfants», salue la vingtenaire.
Un marketing efficace
Pour autant, ce sont bien les jeunes qui étaient la cible principale de Disney Channel, et les réalisateurs savaient pertinemment fidéliser. En 2009, la production a eu l’idée de génie de réunir les personnages des trois séries favorites du moment dans trois épisodes spéciaux : Hannah Montana, La Vie de Croisière de Zack et Cody et Les Sorciers de Waverly Place, série dans laquelle jouait Selena Gomez. Eugénie, alors âgée de 11 ans et dont les murs de la chambre étaient tapissés de posters de Miley Cyrus, attendait depuis des jours leur diffusion. «Mais n’ayant pas été sage, ma mère m’avait punie. J’ai tellement pleuré, je l’ai suppliée de me laisser voir l’épisode que je n’aurais jamais eu l’occasion de rattraper... Elle a finalement levé ma punition, j’étais si heureuse», s’exclame la jeune femme, âgée de 26 ans. À l’époque, le replay n’existait pas encore, les enfants devaient donc être au rendez-vous à heure fixe.
La musique, ADN de Disney Channel, a également séduit un large public, à l’instar des fans de la série Violetta, sortie en 2012. Mélissa ne ratait aucun épisode de cette adolescente réservée et à la voix d’ange, étudiante dans une célèbre école des arts et de la scène en Argentine. «Tout était inspirant chez elle», s’attendrit la Niçoise. Les films de la chaîne de Mickey ont également fait danser des millions d’enfants, comme High School Musical, phénomène mondial qui a propulsé la carrière de Zac Efron et Vanessa Hudgens ou Camp Rock avec Demi Lovato et les Jonas Brothers. «Je connaissais les chansons par cœur», s’enthousiasme Eugénie.
Road-trip Hannah Montana
Cependant, tous les petits Français ne pouvaient profiter des programmes de Disney Channel, dont l’accès était payant. «C’était une chaîne de privilégiés», regrette Pierre, qui s’est contenté de Tfou sur TF1. Bruno aussi n’avait pas le câble mais avait pu goûter à la magie Disney de manière limitée, lorsque les films ou séries ont été diffusés par la suite sur la TNT. «Je me rappelle avoir vu High School Musical pour la première fois sur M6. C’était un véritable événement à la maison», se souvient le collaborateur comptable. Souvent, les productions étaient retransmises sur les chaînes gratuites un an après leur sortie sur Disney Channel. «Mais un an, c’est énorme à cet âge-là ! Tu es en retard par rapport aux autres qui sont déjà passés à autre chose, réagit Thibaut. Je me souviens que la moitié de ma bande d’amis n’avait pas Disney Channel et ils étaient exclus des discussions.»
Encore aujourd’hui le jeune homme entretient cette passion d’enfance avec une amie lors d’«après-midi régressives» durant lesquelles les trentenaires se replongent dans leurs programmes préférés. Comme lui, un grand nombre de fans continue de suivre, de près ou de loin, leurs personnages fétiches. Lucile comptait assister au concert des frères Jonas, qu’elle suit toujours sur Instagram, à l’Accor Arena en juin dernier, avant qu’ils n’annulent leur venue. «Je les écoutais énormément quand j’étais petite. J’étais déçue de ne pas pouvoir les voir», soupire la trentenaire. Mathilda, elle, est allée encore plus loin. Avec sa meilleure amie, elle a organisé un road trip dans le Tennesse (États-Unis)… «sur les traces d’Hannah Montana». «On s’est rendu dans la ville de Columbia, renommée Crowley Corner dans le film. On a pris une photo devant la mairie, lieu important dans l’histoire. On a aussi roulé dans la campagne avec les musiques d’Hannah à fond dans la voiture. On se croyait dans le film», raconte-t-elle.
Chaîne désuète ?
Aujourd’hui, les programmes proposés ont bien changé. Ils s’adressent à un public encore plus jeune, les enfants de 3 à 11 ans. «Ces dernières années, la chaîne ne diffuse que des dessins animés comme Miraculous», illustre Mathilda. Pour les fidèles de la première heure, l’âge d’or de la chaîne appartient donc au passé. «On sent qu’il n’y a plus la même effervescence», confirme Lucile. C’est pourquoi Thibaut préfère désormais Disney+ à Disney Channel.
Tous les programmes cultes de l’époque sont en effet disponibles sur Disney+. Depuis plusieurs années, la société de Mickey mise tout sur le streaming, plus adapté aux usages actuels. L’excentrique Phénomène Raven a notamment fait son retour en 2017. La protagoniste apparaît dans le même rôle mais 10 ans plus tard, maman de jumeaux et divorcée. Courant janvier, Les Sorciers de Waverly Place reviennent également dans un spin-off. Les acteurs de la sitcom comme Selena Gomez sont devenus adultes et jouent aux côtés d’une nouvelle génération. Et Thibaut compte bien regarder ces nouveaux épisodes, qu’il salue comme étant «un coup de génie».
*Le prénom a été modifié.