Hervé Mariton : «En 2025, puissent les Outre-mer devenir les exemples du redressement de la France»

Maire de Crest depuis 1995, Hervé Mariton fut ministre des Outre-mer en 2007 au sein du gouvernement Villepin. Depuis 2021, il préside la Fédération des entreprises d’outre-mer.


Des événements graves, insurrections, catastrophes naturelles, ont mis, en 2024, les Outre-mer au cœur de l’actualité en France. En cette fin d’année, nos pensées vont à Mayotte. Mais la place des Outre-mer dans la République, pas davantage que leur développement propre, ne sauraient être définis par le rythme d’épisodes tragiques. Les Outre-mer ne sont pas une chronique des catastrophes mais une part de la nation. Hélas, la nation est, depuis longtemps, défaillante dans la vision d’une relation mutuelle. Il ne s’agit pas tant d’un manque de moyens ; des budgets conséquents ont été engagés. Il s’agit surtout de l’absence d’une vision forte et continue. À l’approche de 2025, je formule trois vœux pour nos Outre-mer, un vœu d’autorité, un vœu d’identité, un vœu d’agilité.

L’autorité publique, outre-mer, n’est pas assez affirmée. Il y a parfois des coups de menton qui reflètent davantage une colère prétorienne qu’une affirmation durable. Les conversations privées avec de nombreux responsables publics appellent à l’autorité quand l’action concrète manque, faute de volonté réelle ou de soutien hiérarchique. L’interventionnisme d’un autre âge – par exemple dans une vision administrée de l’économie – est plus souvent au rendez-vous que l’affirmation effective du droit, l’autorité de l’Etat, attente principale de nos concitoyens, outre-mer comme dans toute la France. La relation au droit est élastique, situation regrettée mais trop rarement combattue. Ministre, j’interrogeais sur le fait qu’il n’y avait pas davantage de propositions de décorations. La réponse était que certaines personnalités avaient des dossiers un peu chargés. Mais, au fond, la République tolère depuis longtemps cette situation. Le laxisme abîme la dynamique des Outre-mer. Au-delà des comportements individuels critiquables, la société s’abîme dans une situation de sécurité dégradée. Le narcotrafic, la détention d’armes sont des plaies pour la population des Antilles. Ces fléaux entretiennent une insécurité qui crée un risque économique.

L’autorité publique s’est diluée dans des recrutements excessifs qui entrainent des dépenses de fonctionnement excessives dans un grand nombre de collectivités locales. La capacité d’investissement est d’autant plus réduite et les délais de paiement, anormaux, sont tolérés par l’Etat. L’Etat lui-même, bon payeur dans ses dépenses directes, assume les délais de paiement très longs des hôpitaux dont il a la responsabilité. C’est un autre risque économique qui pèse lourdement sur la vie des entreprises.

Le travail informel est accepté comme élément de régulation sociale. Cette résignation complique, à son tour, la vie des entreprises qui se conforment à la loi, et enferme le développement économique des territoires. Il est estimé que deux tiers des entreprises marchandes de Mayotte œuvrent dans le milieu informel. Un rapport du Sénat (novembre 2021) estime que le secteur informel représenterait 25% des emplois en Guadeloupe, 20% en Martinique, 15% à la Réunion.

On entend souvent cet argument de l’amortisseur social pour justifier le travail informel, pour accepter un nombre élevé d’allocataires du RSA… C’est une attitude protectrice, en vérité paternaliste, peu responsabilisante qui dégrade les perspectives des Outre-mer, les enferme dans une logique de crise sociale permanente, de pauvreté.

Trop souvent de grandes ambitions font oublier combien des progrès plus modestes permettraient d’améliorer la vie quotidienne des Outre-mer, mais aussi de tracer des perspectives d’avenir plus réjouissantes.

Hervé Mariton

Et si les Outre-mer faisaient vraiment partie de l’identité nationale ? Comme le chantait Guy Béart : «Si la France se mariait avec elle-même / Si un jour elle se disait enfin je t’aime / Elle inventerait la ronde / Qui entrainerait le monde». Oui, l’amour partagé avec les Outre-mer ouvre la France sur le monde. Mais cet amour ne doit pas être pure anecdote et exotisme. Il doit être pleine compréhension de l’extension de notre pays, «la France en grand» disait Jacques Chirac. Il ne doit puiser ni dans une protection hautaine ni dans un ressentiment postcolonial dépassé. Il doit illustrer la devise de la République. La fraternité de Français du continent et du large, avec le lien fécond d’ultramarins en métropole, de métropolitains outre-mer. La liberté. Si chaque ultramarin a la chance d’accomplir ses talents, d’épanouir sa vie, avec une garantie de sécurité, dans la reconnaissance de la liberté du commerce et de l’industrie. L’égalité, non pas comme puits sans fond de revendication mémorielle – quand bien même l’histoire doit être dite – mais comme source de dignité et garantie d’opportunité. Il existe une loi sur «l’égalité réelle». On sait, en politique, qu’un adjectif affaiblit souvent le substantif. Le vrai sujet est que les Outre-Mer ne soient pas traités comme des exceptions, des inégalités éternelles à compenser, mais comme un réflexe dans l’identité de la France. Nous en sommes loin.

Ainsi, trop souvent, les lois, pour leur application outre-mer, renvoient à des ordonnances. Tel était le cas, récemment, du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le Gouvernement ne calibre pas son projet pour prendre pleinement en compte la situation des outre-mer, dessaisit le Parlement du débat et prévoit de trouver la réponse plus tard. Sans doute la matière est complexe mais, d’une part, cette complexité est une donnée de le France, et cela doit d’autre part encourager à trouver les solutions les plus simples possibles. Le droit social, le droit fiscal adaptés aux Outre-mer sont d’une complexité que les administrations elles-mêmes maîtrisent mal. Il ne s’agit pas de nier les différences d’un territoire à l’autre, des outre-mer à la métropole, des territoires métropolitains entre eux, mais d’assumer la différenciation comme un élément structurant de notre identité. Cest le sens de la loi 3DS du 21 février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, la simplification de l’action publique. De belles intentions pour la France entière.

Justement, les Outre-mer ont besoin de souplesse, d’agilité. Trop souvent de grandes ambitions font oublier combien des progrès plus modestes permettraient d’améliorer la vie quotidienne des Outre-mer, mais aussi de tracer des perspectives d’avenir plus réjouissantes. Elles détournent des priorités que sont le développement économique, l’essor d’un secteur marchand encore trop faible, la lutte contre un chômage trop élevé, cause de pauvreté, la lutte contre la vie chère par le développement de l’activité. Les revendications institutionnelles sont affichées par certains quand, en réalité, le cadre constitutionnel et législatif actuel offre beaucoup de souplesse et de capacités d’action. Habilitation législative locale, pouvoir dérogatoire des préfets, adaptation des normes techniques, sont autant de souplesses insuffisamment explorées. 

La transition énergétique est à la fois contrainte et source d’opportunités dans des territoires à forte empreinte carbone et à potentiel d’énergies renouvelables important. Il y faut du rythme, de la simplicité, de la volonté. Sinon les Outre-mer s’enfermeront dans le régime du bricolage et de l’assistance. Les besoins en logement et en infrastructures sont importants sur les territoires, la filière du bâtiment et des travaux publics est l’une des mieux organisées, les moyens budgétaires de l’État sont souvent inscrits, les financements européens disponibles. Mais les procédures sont trop lourdes, les contraintes trop nombreuses et les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les Outre-mer sont un miroir grossissant du mal français.

Comment reconstruire Mayotte rapidement ? On parle de s’inspirer, dans l’esprit, de la manière de faire qui a permis de redresser Notre-Dame, de réussir les Jeux olympiques. Cette agilité est nécessaire partout. Les problèmes des Outre-mer étant parmi les plus rudes, elle y est particulièrement attendue.

Arrêtons de nous plaindre. Il y a dans les Outre-mer beaucoup de talents et de belles perspectives. Ces voies d’optimisme ont été trop souvent découragées par l’achat de la paix publique, l’enfermement dans les logiques condescendantes de l’assistance, l’épuisement dans des revendications institutionnelles décalées des besoins quotidiens et des projets concrets. J’espère du nouveau gouvernement qu’il écoute des élus et des acteurs économiques, pour agir et non pour renvoyer les problèmes aux responsables suivants. J’espère volonté, fermeté et continuité dans la mise en œuvre de ces vœux simples et essentiels d’autorité, d’identité et d’agilité qui feront que les Outre-mer seront appréciés de tous les Français non plus comme une chronique de problèmes mais comme des exemples de redressement de la France.