Kamala Harris inéligible? Avec le retrait de Joe Biden, le retour d'une fausse information
La vérification en bref :
De nombreux comptes pro-Trump sur X prétendent que Kamala Harris ne serait pas éligible au poste de présidente car ses deux parents ne sont pas nés aux États-Unis.
Mais elle est née aux États-Unis. Cela fait d'elle une "citoyenne de naissance", critère qui répond aux règles listées par la Constitution américaine.
Cette fausse théorie avait déjà été colportée par Donald Trump en août 2020. À l'époque, quarante juristes américains avaient expliqué "à quel point cette idée est sans fondement" et allait à l'encontre de la Constitution.
La vérification en détails :
Joe Biden officiellement sorti de la course à la présidentielle, la vice-présidente Kamala Harris, fortement pressentie pour obtenir l’investiture démocrate, se retrouve déjà visée par plusieurs intox.
Dans les heures qui ont suivi l'officialisation de sa candidature à l’investiture démocrate, de nombreux comptes pro-Trump sur X ont soutenu qu'elle ne pouvait pas se présenter à cette élection pour des raisons constitutionnelles.
Kamala Harris ne serait en effet pas "citoyenne de naissance" car ses parents - une mère indienne et un père jamaïcain - ne sont pas nés aux États-Unis.
"Kamala Harris n'a pas le droit de se présenter à l’élection présidentielle. Aucun de ses parents n'était citoyen américain naturel à sa naissance", prétend ainsi le compte américain pro-Trump Mike Engleman, dans un post X vu plus de cinq millions de fois.

Début juillet, alors que l'hypothèse d'une candidature de l'actuelle vice-présidente prenait de l'ampleur, plusieurs autres comptes pro-Trump avaient aussi diffusé le certificat de naissance d'Harris, disponible en ligne, pour rappeler que ses parents sont nés hors des États-Unis.
Kamala Harris, une "citoyenne de naissance"
Sauf que Kamala Harris, citoyenne américaine depuis sa naissance, peut bien devenir présidente des États-Unis, au vu des critères inscrits dans la Constitution.
Ces critères sont simples : l'article II dispose que le président doit avoir "trente-cinq ans", résider "sur le territoire des États-Unis depuis quatorze ans", et être "citoyen de naissance" ('natural-born citizen').
Aux États-Unis, est citoyen de naissance "toute personne née sur le sol américain et soumise à sa juridiction [...], quelle que soit la nationalité de ses parents", comme l'explique le dictionnaire juridique de l'université de droit de Cornell sur son site.
Une décision de la Cour Suprême américaine à ce sujet, US vs Wong Kim Ark, datant de 1898, a notamment précisé le 14e amendement relatif à la nationalité américaine, statuant que toute personne née sur le sol américain est citoyen de naissance, sans que soit prise en compte la nationalité de ses parents.
Toute personne ayant obtenu la nationalité américaine à la naissance sans passer par un processus de naturalisation peut donc candidater à la présidence américaine, contrairement à un citoyen naturalisé américain au cours de sa vie.
Selon cette définition, Kamala Harris, 59 ans, est bien une "citoyenne de naissance" en vertu du droit du sol défini par le droit américain. Ses parents ne possédaient certes pas la nationalité américaine à la naissance, mais la candidate démocrate est née à Oakland, le 20 octobre 1964, comme le montre son certificat de naissance de l'État de Californie (voir ci-dessous).

Les critères pour accéder à la présidence sont par ailleurs identiques à ceux de la vice-présidence. L'article 12 de la Constitution dispose en effet qu'"aucune personne constitutionnellement inéligible à la fonction de président ne sera éligible à celle de vice-président des États-Unis".
Dès lors, si Kamala Harris n'avait pas respecté ces critères, elle n'aurait pas pu être vice-présidente de Joe Biden depuis janvier 2021.
Le retour d'une fausse accusation poussée par Trump en 2020
Cette remise en cause de la nationalité américaine de Kamala Harris ne date pas d'hier : durant la précédente campagne présidentielle, Donald Trump avait prétendu qu'elle ne "remplissait pas les conditions" légales requises.
L'ex-président républicain disait s'appuyer sur des "affirmations circulant sur les réseaux sociaux" et sur les propos d'"un avocat très qualifié, très talentueux", à savoir John Eastman.
Le 12 août 2020, ce professeur de droit et avocat conservateur américain avait interrogé l'éligibilité de Kamala Harris en rappelant la différence entre citoyen de naissance (natural-born citizen) et citoyen naturalisé (naturalized citizen), dans un éditorial publié dans le magazine américain Newsweek.
Alors qu'un citoyen naturalisé ne peut pas accéder à la présidence, John Eastman laissait penser que Kamala Harris pouvait être considérée comme telle car ses parents, venus pour étudier, n'avaient pas la nationalité lors de sa naissance en 1964.
Ces derniers jours, une capture d'écran de cet article de 2020 a même été largement reprise par de nombreux soutiens de Donald Trump sur X.

Une "idée sans fondement"
À l'époque, l'éditorial de John Eastman avait toutefois suscité nombre de réactions au sein de la communauté universitaire.
Quarante spécialistes de droit constitutionnel avaient critiqué les propos de l'avocat dans un article de blog : "Il est important que le public sache à quel point cette idée est sans fondement et va totalement à l'encontre du sens de l'article II et de la section 1 du quatorzième amendement". Le texte souligne ainsi que "[Kamala] Harris est une citoyenne de naissance qui répond aux exigences de la clause de qualification [à la présidence] et qui bénéficie de la protection du quatorzième amendement".
Deux jours après la publication de l'article de John Eastman, le magazine Newsweek s'était de son côté excusé auprès de ses lecteurs, regrettant que l'éditorial soit "utilisé par certains comme un outil pour perpétuer le racisme et la xénophobie".
"L'éditorial avait pour but d'explorer un argument juridique minoritaire concernant la définition de ce qu'est un 'citoyen né de père ou de mère' aux États-Unis. Mais pour de nombreux lecteurs, l'essai a inévitablement véhiculé le message déplaisant que la sénatrice Kamala Harris, femme de couleur et enfant d'immigrés, n'était en quelque sorte pas vraiment américaine", avait déploré le magazine.
En contre-point, Newsweek avait publié un éditorial du professeur de droit à UCLA Eugene Volokh, qui expliquait aussi en quoi l'hypothèse de John Eastman était contraire au 14e amendement.
Par le passé, d'autres candidats avaient déjà dû faire valoir leur citoyenneté américaine. La question s'était posée pour le sénateur républicain John McCain, né sur une base militaire américaine près du canal de Panama, mais de parents américains.
En 2016, un débat similaire avait aussi entouré le candidat à l'investiture républicaine Ted Cruz, ce dernier étant né au Canada d'un père canadien et d'une mère américaine. Toutefois, à aucun moment sa candidature n'a été officiellement remise en cause sur le plan constitutionnel.
De son côté, Barack Obama avait notamment dû faire face tout au long de sa présidence à de nombreuses rumeurs infondées qui remettaient en cause sa citoyenneté américaine et soutenaient qu'il n'était pas né aux États-Unis.
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