Notre critique de Mon gâteau préféré : la crème du cinéma iranien

Il n’est pas facile de faire un film en Iran. Encore moins quand le tournage coïncide avec la mort d’une jeune femme pour une mèche de cheveu trop voyante. Et moins encore pour des réalisateurs qui ont été poursuivis en justice pour leur précédent long-métrage, Le Pardon (2021), et qui choisissent des sujets considérés comme sensibles par les mollahs. Alors quand Mon gâteau préféré a été sélectionné en compétition de la Berlinale 2024, c’en était trop pour les autorités iraniennes. Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha ont été privés de leur passeport, empêchés de faire le voyage en Allemagne où leur film a reçu le prix du jury œcuménique.

Quel est donc le sujet qui a tant fâché les maîtres de la censure ? Mon gâteau préféré est non seulement une ode aux femmes, mais il revendique leur droit à vivre heureuses et libres. Les cinéastes choisissent une retraitée et veuve de 70 ans dont les enfants ont émigré. Mahin traîne sa solitude du matin au soir. Il est midi quand le sommeil s’évade, elle soigne ensuite les plantes de son jardin, va faire ses courses, appelle sa fille en visio, fait du tricot. La télé apporte de la vie. Pas assez pour combler son besoin de partager.

« J’ai pris racine chez moi », dit Mahin. Le temps a beau avoir enrobé son corps, elle reste fermement décidée à revivre une histoire d’amour. La rencontre se fera au restaurant des retraités. Faramarz a lui aussi 70 ans, une moustache et un aspect fragile. Entre les deux, ça matche instantanément. Commence une longue soirée chez Mahin, premier interdit qui en annonce d’autres. Après une première partie qui offre quelques scènes d’extérieur - en réalité de nombreuses séquences dans un taxi -, commence un long huis clos dans la maison de Mahin. Les bruits venant de la rue font un temps illusion mais trahissent les difficultés de tournage. Quant à la surveillance, elle s’incarne à travers la voisine s’inquiétant d’avoir entendu une voix d’homme.

Franchir les lignes rouges

Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha ont voulu montrer le quotidien des femmes de la classe moyenne en Iran. Une fenêtre rarement entrouverte. Pour dresser ce portrait, ils ont franchi toutes les lignes rouges des restrictions. Trois ans de travail pour dénoncer la mainmise de la République islamique sur la gent féminine. Leur talent est de le faire avec finesse et humour. Quelques phrases bien lancées : « À notre époque, on ne nous embarquait pas pour un voile de travers », « dans les films étrangers, ils prennent des douches ensemble ». Des situations incongrues : les protagonistes boivent non seulement du vin, mais ils ouvrent un jéroboam ! Bien échauffés par le breuvage, ils se mettent à chanter et à danser. Chaque geste est l’occasion d’exhiber leur liberté et leur bonheur. Il sera pourtant de courte durée.

Dans les rôles principaux, Lili Farhadpour (Mahin) et Esmaeel Mehrabi (Faramarz) affichent la tranquillité de leur âge et la résignation de ceux qui n’ont rien à perdre. L’actrice a pourtant pris beaucoup de risques en acceptant de jouer dans Mon gâteau préféré. Aujourd’hui, les cinéastes sont en attente de jugement et risquent la prison. Dans une lettre à la Berlinale, ils disaient accepter les conséquences de leur choix. Ce courage mérite un déplacement en salle.

L’avis du Figaro : 3 étoiles sur 4.