«Il y a beaucoup plus de monde qu’avant» : au Five Guys de la place de Clichy, le passage au bœuf halal attire les clients

Le soleil rase la place de Clichy en ce début d’après-midi. Sur le parvis, sacs de lycéens, poussettes et badges d’entreprise se croisent dans un ballet parisien familier. Sur le boulevard, l’enseigne rouge et blanche de Five Guys brille à côté du cinéma Pathé Wepler. Rien ne laisse deviner, depuis l’extérieur, que le restaurant est devenu l’une des vitrines d’un tournant stratégique : depuis près de trois semaines, ici, le bœuf des burgers et des hot-dogs est halal, et l’alcool a disparu du menu.

Annoncée sans communication tapageuse, cette transformation 100% halal concerne six établissements pilotes en France. Dans la salle animée, les employés en polo rouge n’ont pas le sourire, qui faiblit devant l’affluence record. «Il y a beaucoup plus de monde qu’avant. La première semaine a été très forte, et ça ne faiblit pas», raconte un serveur présent avant la bascule. «Ça facilite la vie de ceux qui ont des restrictions, et les vidéos TikTok ont beaucoup aidé.» Derrière les grills, la procédure est rodée. Bacon sur une plaque dédiée le matin, viande halal identifiée, séparation stricte. «Le goût ne change absolument pas. Ce qui change, c’est l’abattoir : une autre entreprise a pris désormais le relais et procède à une prière avant l’abattage. Il faut simplement s’organiser pour respecter ces pratiques culturelles.» Pour l’instant, le pari semble fonctionner : «On voit l’ancienne clientèle - et une nouvelle, clairement musulmane», constate-t-il.

Sur la vitrine du fast-food américain place de Clichy, un macaron certifiant que le bœuf cuisiné sur place est halal. Aldric Meeschaert/Le Figaro
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«Ça ne peut que renforcer le communautarisme»

Sur place, la clientèle est majoritairement jeune, du lycéen au quadragénaire. Aucun signe religieux ostentatoire, mais plusieurs clients musulmans se disent satisfaits de pouvoir consommer une nourriture conforme à leurs pratiques religieuses. L’un d’eux confie : «Je suis musulman et je ne mangeais pas spécialement halal avant, mais maintenant tant mieux, je vais pouvoir m’y mettre. Je trouve ça très bien !» À la sortie, des jeunes avalent encore une poignée de frites. Karine, habitant en Nouvelle-Calédonie, tombe des nues : «Je ne savais même pas. J’étais venue pour une frite. Ça ne change rien pour moi. Mais oui, on voit plus d’halal dans les supermarchés aussi, même chez nous.»

Un duo de quarantenaires repart, café à la main : «Le goût ne change pas. S’ils s’embêtent avec les plaques séparées, tant mieux. Ça ne nous dérange pas.» Mais le sujet fait réagir dans la rue. François, 60 ans, connaît bien le quartier : «Ça ne me fera pas changer ma cantine. Mais c’est logique : il y a des restos casher, maintenant l’halal suit. Ils savent qu’ils auront plus de clients. Un commence, les autres suivent.» Un peu plus loin, Diego, dans la restauration, tire une leçon plus alarmiste : «C’est le sens du monde. Le multiculturalisme  donne ça. Je n’irai pas, et je pense que beaucoup réagiront comme moi. Ça ne peut que renforcer le communautarisme . Mais le sens du monde veut aussi qu’il y ait un retour de bâton...» À l’inverse, Axel, prof de théâtre dans le quartier, balaye l’émotion : «Franchement, il y a des enjeux plus lourds. Halal, casher, vegan... l’essentiel, c’est que tout le monde vive ensemble.»

Le phénomène n’est pas inédit. Quick avait déjà converti la totalité de sa carte en 100% halal dès 2015. Popeyes s’y met. Et Five Guys suit le mouvement. À noter toutefois une différence de prix frappante entre les deux enseignes : chez Five Guys, le hamburger seul s’affiche à 12,25€ - soit l’équivalent d’un menu complet chez Quick. Avec une portion de frites, l’addition grimpe à près de 20 euros. Bernard Boutboul, président de Gira Conseil - cabinet spécialisé dans le secteur de la consommation hors domicile - analyse : «Quick a doublé son chiffre d’affaires sur certains sites après le passage au halal. Five Guys teste la formule. Le business prime.» Mais il pointe aussi une zone grise : «Le “partiel” [tous les restaurants Five Guys ne sont pas halal] peut créer de la confusion. Les musulmans peuvent douter, les non-musulmans aussi. Soit on est 100% halal, soit on ne l’est pas du tout.» Les jeunes générations, dit-il, n’y voient pas d’inconfort culturel. Les plus de 50 ans, davantage. Et l’affaire révèle autre chose : «Beaucoup de restaurants street-food  en France sont déjà halal sans l’annoncer. Tant que ça ne se voit pas, ça ne gêne pas. Dès que ça se dit, ça crispe.»

Reste à savoir si l’élan se confirmera une fois l’effet nouveauté dissipé par une généralisation de l’offre dans l’Hexagone, et si cette expérience place de Clichy, à deux pas d’un KFC et d’un McDonald’s, préfigure une mutation plus large de la restauration rapide en France.