Croissance au ralenti, plans sociaux, défaillances d'entreprises... Pourquoi le chômage repart fortement à la hausse en France
Les organisations syndicales et patronales s'en inquiétaient depuis plusieurs mois. La dégradation du marché de l'emploi s'est brutalement matérialisée avec la publication des derniers chiffres du ministère du Travail, lundi 27 janvier. Au quatrième trimestre de 2024, le nombre de demandeurs d'emploi sans activité (catégorie A) inscrits à France Travail, hors Mayotte, a augmenté de 3,9% par rapport au troisième trimestre, selon la Dares, le département des études du ministère.
Il observe une hausse de 117 000 chômeurs en trois mois, pour atteindre 3,1 millions de personnes sans activité (et 5,5 millions en ajoutant les demandeurs d'emploi en activité réduite, en catégorie B et C). Soit la plus forte remontée du chômage en une décennie, à l'exception de la période de crise liée au Covid-19. Sur un an, le nombre de demandeurs d'emploi a progressé de 3,5% pour la catégorie A, et de 1,8% pour les catégories A, B et C. Des chiffres frappants, observe Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :
"On ne s'attendait pas à une hausse aussi importante en période de non-récession. Ce qui est singulier, c'est que la remontée est très significative et qu'elle est généralisée."
Eric Heyer, économisteà franceinfo
Si une hausse du taux de chômage était redoutée par les économistes, notamment en raison du rétablissement de la productivité (qui avait chuté pendant le Covid-19), ce fort rebond constitue une alerte. Il s'explique notamment par la nette dégradation de la conjoncture économique en France. Le produit intérieur brut (PIB) devrait progresser de 1,1% en 2024, selon les dernières prévisions de l'Insee, mais avec une croissance nulle d'octobre à décembre et une hausse de seulement 0,4% au troisième trimestre.
Les défaillances d'entreprises ont atteint des niveaux record en 2024, après plusieurs années historiquement faibles, en raison notamment de la fin d'aides liées au Covid-19. La Banque de France en a recensé 65 764 sur l'année, en hausse de 16,8% par rapport à 2023. Plusieurs grandes entreprises, comme Michelin, Auchan ou Casino, ont annoncé durant l'année des plans sociaux et des fermetures.
Ce phénomène se répercute dans les chiffres de la Dares : le nombre d'inscrits à France Travail après un licenciement économique a augmenté de 26% en un an, même si les 9 700 personnes concernées ne représentent que 1,8% des inscriptions en 2024. Autre signe inquiétant : le nombre de déclarations d'embauche de plus d'un mois (hors intérim) est reparti à la baisse au quatrième trimestre 2024 (-2,4%), selon l'Urssaf.
Les jeunes de moins de 25 ans particulièrement touchés
Mais le contexte économique morose n'est pas le seul responsable de cette remontée du chômage. L'incertitude politique depuis la dissolution pèse fortement sur les embauches et sur les investissements. Selon Eric Heyer, "ce phénomène a pu amplifier les chiffres de l'emploi". Et ces mauvaises nouvelles ne font qu'amplifier l'enjeu des négociations sur le projet de budget 2025. Lundi, le Medef a notamment estimé que la hausse du nombre de demandeurs d'emploi devait "faire prendre conscience au gouvernement des conséquences de ses choix budgétaires".
L'organisation patronale appelle dans un communiqué à éviter "toutes mesures qui entraveraient la compétitivité et alourdiraient le coût du travail". Une baisse des exonérations de cotisations sociales et une diminution de la prime à l'apprentissage sont notamment dans les tuyaux du budget 2025, dont les contours définitifs seront discutés jeudi en commission mixte paritaire (CMP) avant une éventuelle adoption au Parlement.
Dans le contexte de dérapage des finances publiques, les aides à l'apprentissage ont récemment été réduites. Cela a pu jouer sur les embauches des jeunes, alors que le nombre de demandeurs d'emploi âgés de moins de 25 ans en catégorie A a augmenté de 8,5% au dernier trimestre de 2024 dans l'Hexagone, et 7% sur un an. "Quand les entreprises décident d'ajuster leurs effectifs, c'est souvent le dernier arrivé qui est le premier à partir, notamment car les jeunes coûtent moins chers et sont en CDD", analyse l'économiste Eric Heyer.
Pour les jeunes comme pour les autres demandeurs d'emploi, l'année 2025 s'annonce compliquée. Le taux de chômage en France, actuellement à 7,4%, devrait remonter à 7,6% de la population active d'ici à la mi-2025 selon l'Insee, tandis que la Banque de France prévoit qu'il s'élève à 7,8% à la fin de l'année.