«Libérer sa plume: j’ai testé l’atelier d’écriture du Figaro littéraire»


Le prochain atelier « formule intense » s era animé par l’écrivain Pierre Assouline, les vendredis 28 novembre et 5 décembre, de 9h30 à 12h30 puis de 14 heures à 17 heures. Nouveau tarif : 855 euros.


Que fait-on dans un atelier d’écriture? C’est mystérieux pour moi. L’envie est là depuis longtemps, mais je n’ai aucune idée de ce que l’on peut y trouver, même après plusieurs années au sein de la rédaction du Figaro. Pourquoi des personnes déjà publiées y ont-elles recours, où d’autres dont le quotidien n’a aucun lien avec la création littéraire? À quels types d’échanges dois-je m’attendre? Avec l’animateur? Avec le groupe? Une chose est certaine, y participer n’est pas une démarche anodine. Il s’agira de la première fois où je serai confrontée à un écrivain multi-publié, sous le regard d’autres participants, qui écrivent eux aussi.

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Je me lance avec un animateur dont on m’a vanté les vertus pédagogiques et la capacité à nous «pousser dans nos retranchements». Rendez-vous est donné deux vendredis de suite, dans les locaux du Figaro, de 9h30 à 17h30, au 23-25, rue de Provence, dans le 9e arrondissement de Paris. Soit une immersion de huit heures par séance dans l’atelier d’écriture animé par Grégoire Delacourt, auteur de nombreux romans (L’Écrivain de la famille, Mon Père …) dont le célèbre La liste de mes envies, adapté au théâtre et au cinéma.

Trois types de profils

Le Jour-J, l’attente est studieuse dans le hall. Personne ne se connaît et ne peut présumer des liens qui se tisseront. Une fois installés à quelques mètres de la rédaction du quotidien, de son site et de ses magazines, les membres du groupe se rencontrent. Grégoire Delacourt se présente rapidement. Il enchaîne par un tour de table permettant à chacun d’exprimer ses attentes. «Que cherchez-vous ici?» Hommes et femmes de tous âges, architecte, avocat, journalistes, issus du milieu médical, mère de famille nombreuse…, venus des quatre coins de la France mais aussi de Suisse et de Belgique, se sont inscrits. «On retrouve toujours trois types de profils, explique Mohammed Aïssaoui, organisateur de l’atelier du Figaro littéraire depuis 2017, critique et écrivain (L’Affaire de l’esclave Furcy, Folio). Ceux qui souhaitent terminer un projet d’écriture, ceux qui veulent initier ou poursuivre un livre de famille et enfin ceux qui prennent plaisir à participer aux ateliers». Avec douze inscrits, les trois grandes familles se dessinent. Pour ma part, l’idée est de surmonter quelques blocages et de profiter des expériences et des conseils de chacun.

Le premier exercice est le plus délicat par nature. Il s’agira de la première lecture à voix haute de sa prose devant un groupe dont on ne peut soupçonner la disposition d’esprit. François Bouchon / Le Figaro

Une part subjective

Place aux exercices concrets. Le premier, le plus délicat par nature, est notable. Non par sa forme, assez simple – décrire, en 15-20 minutes, un objet personnel en respectant la méthode des cinq W (What, Why, Who, When, Where, soit quoi, pourquoi, qui, quand et où) –, mais par son aspect psychologique implicite. Il s’agira de la première lecture à voix haute de sa prose devant un groupe dont on ne peut soupçonner la disposition d’esprit. Un grand saut. Les émotions sont à fleur de peau. Chacun gère son stress ou son excitation comme il le peut : légère agressivité, larmes, peur de ne rien avoir à offrir de convenable, craintes quant aux différents retours... L’ambiance est à la charge de l’animateur. Il y a de l’ego là-dedans, forcément, mais surtout de l’humain, avec sa panoplie de réactions. Il faut les appréhender, les canaliser et les transformer en matière littéraire. Permettre à chaque participant d’oser livrer ses promenades intérieures par la plume puis par la voix tout en maintenant l’équilibre général. L’écriture est une chambre noire. On y est seul, enfermé, et on applique des révélateurs pour que surgissent les images. L’atelier permet d’en sortir et d’exposer son travail à la lumière. Un pas compliqué dont l’accomplissement repose sur les qualités de notre meneur et la bienveillance des participants. Avec les autres, mais aussi avec soi-même. Non par humanisme, mais par souci d’efficacité. On touche à une part subjective, mais fondamentale, de la pratique dans un atelier.

Dans « atelier d’écriture », la notion la plus importante est « atelier »

Le ton général, la confiance et la sincérité, indispensables à l’évolution de chacun, se jouent, en partie, lors de cette lecture et des premiers conseils. Pour notre petite assemblée, cet obstacle franchi et les voiles levés, les interactions sont immédiatement bon enfant. Un moment de détente collective un peu magique. «Il m’est arrivé une fois d’avoir un groupe compliqué, mais il est rare que l’alchimie n’opère pas», raconte l’écrivain-animateur. En revanche, les échanges ne doivent pas se noyer dans des histoires personnelles, la tentation est grande, ou sombrer dans la théorie et frôler la masterclass, où les participants écoutent et restent passifs. Dans «atelier d’écriture», la notion la plus importante est «atelier», avec son enchaînement de jeux littéraires. Chacun souhaitant repartir avec des réponses claires.

Au cours des jeux littéraires, Grégoire Delacourt ne laisse aucune échappatoire. Il provoque la créativité, l’expression et le dépassement de soi. François Bouchon / Le Figaro

Des exercices cadrés

La méthodologie de la première activité s’appliquera à tous les exercices : thème imposé, temps d’écriture court, lecture, critique constructive. L’objectif? S’entraîner un maximum. Une approche technique s’invite rapidement et le matériau engendré par le groupe se structure sous la cadence et les contraintes. De grandes dominantes sont abordées: le choix des temps utilisés, l’art du dialogue ou la description des décors. Un moment considérable, par exemple, est alloué à l’importance du point de vue. Qui est le narrateur de l’histoire? Pourquoi le roman passe par ce personnage? Comment ne pas commettre l’erreur de le rendre omniscient? L’atelier révèle sa dimension en troquant le discours contre une mise en pratique cadrée. Plusieurs exercices, autour d’un tableau d’Edward Hopper, produisent des résultats remarquables. Nous choisissons un premier personnage et laissons filer notre imagination. Lecture, debriefs, conseils. La chose se corse lorsque nous devons décrire la même scène d’un autre point de vue. Nous apprécions la difficulté de changer de peau, de tester les différents regards et de s’approprier le bon. L’écueil de se méprendre devient tangible, presque physique. «Une erreur de point de vue peut ruiner un manuscrit. N’hésitez pas à écrire un chapitre complet avec un certain point de vue, puis à le réécrire entièrement avec un autre. Vous trouverez celui dans lequel vous vous sentez le mieux», explique Grégoire Delacourt. Il ne faut pas être à l’économie de papier.

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Importance de la mise en page

La forme des textes est aussi étudiée. L’importance de la mise en page sera soulignée à plusieurs reprises, tout au long des séances, jusqu’au rendu, un mois après la deuxième journée, d’une nouvelle de six pages sur la jalousie. On ne se lassera pas de citer Victor Hugo: «La forme, c’est le fond qui remonte à la surface». Le manuscrit doit être beau, propre et soigné, respectueux de son futur lecteur. «Les respirations du texte sont aussi les respirations de celui qui vous lit», insiste Grégoire Delacourt.

« Il ne faut pas que les mots rassurent, il faut qu’ils nous fassent peur »

Grégoire Delacourt

Les deux journées sont intenses, les mises en pratique de plus en plus exigeantes et les critiques plus pointues. Toujours dans un dialogue constructif, souvent drôle d’ailleurs. L’humour permet de passer les messages sans blesser et Delacourt le manie avec dextérité. Au cours de ces seize heures hors du temps, tout est permis. Il n’y a pas de jugement. Les participants sont guidés, ramenés à eux. Il faut racler la matière qui sommeille. Les progrès et la rapidité avec laquelle le niveau du groupe évolue sont manifestes. Grégoire Delacourt ne laisse aucune échappatoire. Il provoque la créativité, l’expression et le dépassement de soi: «Il ne faut pas que les mots rassurent, il faut qu’ils nous fassent peur». Dès la fin de la première matinée, des styles se révèlent. À son rythme, chacun trouve sa voix. Les jeux littéraires, parfois sur mesure – au fil des heures, l’animateur nous cerne davantage –, montent progressivement en gamme et apportent de nombreuses réponses. Ils fonctionnent comme des tuyaux que l’écrivain raccorde pour diriger le flux de la pensée, si l’on veut bien se donner la peine d’ouvrir les vannes. On teste, se heurte et comprend le problème dans la foulée. Entre les sujets abordés à l’initiative de Grégoire Delacourt, mes interrogations et celles des autres interlocuteurs, l’atelier répondra à la grande majorité de mes attentes.

Les exercices montent progressivement en gamme et apportent des réponses concrètes. François Bouchon / Le Figaro

Désacraliser l’écriture

Un bon atelier d’écriture propose un réseau d’auteurs conséquents et sensibles à l’exercice de la transmission. En cela, la personnalité du maître de cérémonie est essentielle et intimement connectée à la texture de l’apprentissage et des conversations. Son expérience, ses doutes, astuces et habitudes d’écriture sont délivrés tout au long de l’atelier. Il faut de grandes qualités pédagogiques et la générosité de s’oublier pour plonger dans les univers et les proses d’autrui. Il ne s’agit pas de formater l’écriture, mais au contraire, de l’autoriser, de la désacraliser et de respecter les originalités. Cerise sur le gâteau lorsque l’animateur porte en lui l’art de la maïeutique.

De manière concomitante, deux sujets se mêlent. Comment écrire? Mais surtout : «Qu’avez-vous à dire? Quel récit portez-vous? Quels sont vos grands thèmes?». Une bonne technique d’écriture n’a pas grand intérêt si elle ne véhicule pas une histoire forte, un message. Et inversement. Les exercices sont une chose, mais être lu et conseillé par le directeur d’une maison d’édition ou, pour ma pomme, par un écrivain primé, multi-publié, dont les ventes dépassent le million d’exemplaires, est irremplaçable. C’est un accès direct aux réalités du terrain, à un regard professionnel qui sait repérer et guider les futurs auteurs. Ce bagage-là est unique. «On est mauvais juge de soi-même, qu’on se dise: “c’est génial” ou “c’est nul”, glisse un expert. Comme faire lire ses textes par ses proches n’est pas toujours une bonne idée.»

Fonctionnement des maisons d’édition

Le coût d’un tel atelier n’est pas à sous-estimer. 900€ en ce qui concerne celui du Figaro littéraire et sa nouvelle formule, compactée sur deux (grosses) journées, avec un rab de quelques heures en visioconférence, un mois plus tard, pour commenter nos nouvelles. Ainsi, nous apprécions la proposition de l’auteur d’On ne voyait que le bonheur de déjeuner ensemble, si on le souhaite, sur la terrasse privatisée du Figaro avec vue sur le Sacré-Cœur. L’occasion de discuter des maisons d’édition, de leur fonctionnement, de la différence entre l’édition à compte d’auteur et l’autoédition, pour éviter les arnaques. De poser des questions plus personnelles, liées à ses projets. «Si je décide d’écrire sur des personnes que j’ai côtoyées et qui ont une certaine notoriété. Puis-je tout dire?» ; «S’il s’agit de proches, comment vont-ils réagir? Peuvent-ils me faire un procès?». Autres types d’interrogations: «Si certains propos ne sont pas conventionnels ou politiquement corrects, mais essentiels à l’intrigue, comment m’y prendre? Cela peut-il empêcher une publication?»

« Écrire, c’est beaucoup enlever »

Grégoire Delacourt
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L’occasion également d’écouter les expériences de chacun, ce que le rythme des exercices ne permet pas. De comprendre les différentes motivations. Écrire pour détourner le réel ou l’exposer crûment, pour témoigner, transmettre aux siens des souvenirs de famille ou titiller son imaginaire. Quel que soit l’objectif, il est avant tout de réussir à libérer le texte que l’on porte en soi. «Écrire, c’est une façon de crier sans déranger les voisins», disait Jules Renard. «Mais écrire c’est aussi faire du silence, reprend Grégoire Delacourt, de retour dans la salle qui nous accueille. C’est beaucoup enlever». Resserrer un paragraphe de dix lignes en deux. Retrancher, essorer le texte. Faire tomber les adjectifs pour aller à la quintessence de l’idée. Quand on pense aux fades logorrhées déversées par les IA, les écrivains ne sont pas près d’être remplacés.

L’atelier d’écriture offre un instant privilégié et coupé du monde: un effet cocon. François Bouchon / Le Figaro

Autre bénéfice d’un atelier d’écriture avec une telle formule (il en existe de toutes sortes): l’effet de cocon. À l’heure des réseaux sociaux et des messageries multiples qui klaxonnent en permanence, s’ajoutent au plaisir de se retrouver d’un rendez-vous à l’autre, le bonheur de passer en «mode silence» et de se concentrer sur un but exclusif: l’écriture. Acte intime et reconstituant si l’en est. Huit heures de retour aux sources, d’introspection, de calme, de respect et d’écoute. Un instant privilégié, coupé du monde, de son vacarme et de sa fureur. Une nuit sans nuages derrière et le sentiment d’avoir vécu une petite retraite. Écrire est une parenthèse dans le bruit, dans le chagrin, dans la solitude, «c’est un acte de liberté absolu», conclut Grégoire Delacourt.

Effet «déclencheur»

Enfin, dernier avantage et non des moindres, sorte de retour sur investissement, l’effet «déclencheur» de l’expérience. La portée de l’enseignement acquis dure bien au-delà du temps réel accordé. La drogue est forte, inoculée massivement sur deux jours, suivie de l’écriture d’une nouvelle en quelques semaines. Il faut utiliser cet élan pour mettre en place sa routine ou relancer la machine. Au fil des mois, les conseils reviennent en boucle et jalonnent mon écriture dans les moments de doute, de ralentissement ou d’arrêt. En revanche, l’atelier ne fait pas l’écrivain, dans le meilleur des cas, il le révèle à lui-même. Il ne remplace pas la rigueur, la détermination et l’envie de mener son texte jusqu’au bout. Nulla dies sine linea («pas de jour sans une seule ligne») s’appliquait militairement Zola, la devise gravée sur la cheminée de son bureau. La discipline, c’est la clé.