Achat local, vacances annulées : contre les tarifs douaniers de Trump, le Canada contre-attaque
Donald Trump avait annoncé début février la mise en place de droits de douane de 25 % sur la plupart des importations de produits canadiens et mexicains en raison de l'immigration illégale et de la contrebande de Fentanyl, un opioïde de synthèse meurtrier qui fait des ravages aux États-Unis. Il a fait volte-face quelques heures avant leur entrée en vigueur, assurant avoir obtenu des engagements des deux pays, et leur accordant un sursis de trente jours.
Cette pause d'un mois doit donc normalement prendre fin le 4 mars. Interrogé à ce sujet lors de la conférence de presse avec le président français Emmanuel Macron, le locataire de la Maison Blanche a déclaré qu'ils seraient imposés comme prévu. "Nous sommes dans les temps avec les droits de douane et il semble que cela évolue très rapidement", a-t-il répondu à un journaliste.
Face aux menaces de lourdes taxes imposées par Donald Trump, le Canada avait répliqué avec fermeté. Le premier ministre Justin Trudeau avait notamment invité les Canadiens à choisir des produits fabriqués au pays dans une publication sur son compte X : "Lisez les étiquettes. Faisons notre part. Autant que possible, choisissons le Canada".
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Des incitations au boycott des produits américains
Cet appel a été suivi d'effets. Les mots clés #BuyCanadian, ainsi que #ByeAmerican sont devenus de plus en plus populaires sur les réseaux sociaux. Dans de nombreux vidéos publiées sur TikTok ou sur Instagram, des Canadiens ont appelé au boycott des produits provenant du pays voisin. Ulcérés par les propos du président américain, certains ont même partagé des listes de denrées américaines à ne plus acheter. Ils ont aussi donné des conseils pour apprendre à repérer les labels "Produit du Canada" qui indiquent que les ingrédients proviennent bien à 98 % de ce pays.
Plusieurs provinces, dont l'Ontario, qui vend chaque année pour près de 1 milliard de dollars canadiens [environ 665 millions d'euros] d'alcool américain dans ses magasins de détail gérés par le gouvernement et à 18 000 restaurants et bars locaux d'après l'AFP, ont également déclaré qu'elles cesseraient immédiatement de vendre de la bière, du vin et des spiritueux américains en signe de protestation.
Les créateurs de contenus ont aussi répliqué à leur façon. Une demi-douzaine d'applications ont été créées pour permettre de déterminer la provenance des produits vendus dans les magasins. "Le site isthiscanadian.ca permet de savoir, avec un taux de réussite respectable, si un produit est canadien, étranger ou un peu des deux", peut-on ainsi lire sur le site du Journal de Montréal. "À la fin, le site suggère des alternatives québécoises ou canadiennes, lorsque le produit est étranger".
Selon un récent sondage réalisé entre le 16 et le 18 février auprès de 3 310 Canadiens par l'Institut Angus Reid, 85 % des personnes interrogées ont ainsi déclaré qu'elles prévoyaient de remplacer ou avaient déjà remplacé des produits américains lors de leurs achats. De cette écrasante majorité, 48 % ont affirmé qu'elles remplaceraient autant de produits qu'elles pourraient trouver.
Interrogé par Newsweek, Sylvain Charlebois, professeur de politique de distribution alimentaire de l'Université Dalhousie de Halifax (Nouvelle-Écosse), note une augmentation d'environ 10 % des ventes de produits canadiens dans les épiceries au cours du dernier mois, qu'il décrit comme "importante, mais pas énorme". Le boycott aura un effet sur les producteurs et les entreprises américaines, mais le Canada reste "un marché relativement petit" pour eux, et il sera donc "avant tout symbolique", souligne pour sa part auprès de l'AFP Julien Frédéric Martin, professeur d'économie à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).
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Un impact sur le tourisme aux États-Unis ?
Justin Trudeau a également encouragé ses compatriotes à passer leurs vacances à la maison et à "explorer les nombreux parcs nationaux et provinciaux, sites historiques et destinations touristiques que notre grand pays a à offrir".
Avec la montée des tensions, certains Canadiens se sont montrés sensibles à cet appel en suspendant ou en annulant leur déplacement dans le pays voisin. "Je crois que c'est un peu une façon pour nous de protester contre une politique qui n'est pas juste et qui nous gêne", a ainsi expliqué à Radio-Canada Mariann Geist, une résidente de Toronto qui a annulé ses vacances à Palm Springs (Californie) après l'annonce du président Trump de vouloir mettre en place des tarifs sur les produits canadiens.
Ce choix des touristes canadiens de ne pas se rendre de l'autre côté de la frontière "pourrait avoir un effet économique important" pour des États américains, comme le Maine, la Floride, la Californie et l'Arizona, estime Lorn Sheehan, professeur spécialisé en tourisme à l'Université Dalhousie. L'an dernier, 20,4 millions de Canadiens ont visité les États-Unis, selon les chiffres de US Travel Association, l'organisation dédiée à la promotion des voyages à destination et à l'intérieur du pays.
Les premiers effets se font déjà sentir. Comme le décrit le site spécialisé Travel Weekly, le voyagiste Globus a observé un recul de la demande canadienne de voyages vers les États-Unis à partir du 1er février environ. Depuis, les réservations ont ralenti de moitié, a expliqué le responsable marketing de ce tour opérateur, ajoutant que les autres destinations vers l'Europe ne connaissaient pas de baisse.
La US Travel Association s'inquiète de cette situation. Elle anticipe ainsi qu'une simple réduction de 10 % des voyages en provenance du Canada pourrait se traduire par 2 millions de visites en moins, ce qui signifierait 2,1 milliards de dollars de dépenses perdues et 140 000 emplois menacés dans le secteur de l’hôtellerie et les secteurs connexes.
Même si le sursis annoncé par Donald Trump se prolonge de nouveau, les professionnels du tourisme notent déjà une véritable cassure. "Il faudra beaucoup de temps pour rétablir cette confiance et se sentir à nouveau à l'aise pour se rendre aux États-Unis", insiste Air Canada auprès de Radio-Canada.
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