Le parcours du combattant de la famille d’un pilote militaire disparu en 1969

L’avion de Gilbert Bréant, pilote français disparu en mer en 1969, au large de l’Égypte, a-t-il été abattu par accident, au cours d’une mission secrète menée pour le compte de la France ? La thèse soutenue depuis plusieurs années par la famille du militaire a été écartée en ce début de printemps par le tribunal administratif de Nantes qui, dans un jugement daté du 1er avril, n’a pas retenu les arguments rassemblés pour démontrer la nature militaire du déplacement qui a coûté la vie à Gilbert Bréant.

«Il ne résulte pas de l’instruction (…) que la disparition de Monsieur Bréant serait intervenue dans le cadre d’une mission effectuée, même de manière indirecte, à des fins militaires», indique le jugement du tribunal administratif, aussitôt contesté par l’avocat de la veuve et des enfants du pilote disparu, Maître Bertrand Salquain qui a déploré, dans un communiqué diffusé mercredi 9 avril, «une nouvelle déconvenue difficile à entendre», «dans la lignée des fins de non-recevoir que les différentes administrations ont adressé à Madame Bréant et à ses avocats successifs depuis 1969».

«Une affaire méandreuse»

Voilà plus de cinquante ans que la veuve de Gilbert Bréant s’interroge en effet sur les circonstances mystérieuses de la mort de son époux, au cours d’une curieuse mission au dénouement dramatique. Pilote au peloton d’aviation légère de l’armée de terre, basé à Saumur (Maine-et-Loire), Gilbert Bréant a disparu le 24 mars 1969, avec son copilote suisse, Jean-Daniel Bernasconi, à bord d’un petit avion civil, sur le retour d’une mission de topographie aérienne réalisée au Koweït, pour le compte d’une compagnie privée, basée à Casablanca. Ni l’épave ni les corps des deux aviateurs - déclarés morts en 1970 - n’ont été retrouvés. Gilbert Bréant laissait derrière lui une épouse âgée de 21 ans et deux enfants. Une jeune famille qui n’a jamais touché d’indemnités, le pilote n’étant pas décédé en service, selon les affirmations de l’armée.

Or, c’est précisément ce dernier point qui a intrigué, depuis 1969, la cohorte d’avocats qui s’est succédé aux côtés de Maryvonne Bréant. Après sept ans de recherches, son dernier conseil a déposé en 2021 un recours auprès du tribunal administratif de Paris pour lever le secret-défense et faire reconnaître par le ministère des Armées la mort en service de Gilbert Bréant, une démarche qui permettrait d’ouvrir la voie à une indemnisation de sa famille.

Maître Bertrand Salquain a entamé une procédure en justice pour faire condamner l’État à verser plus de 2,3 millions d’euros à la famille de Gilbert Bréant, au titre des préjudices subis par la mort du pilote. «C’est une affaire méandreuse, un véritable secret d’État», indique le juriste, dans un livre au sujet de l’affaire paru à l’automne 2024 (Mon mari a disparu. 50 ans de combat pour briser le silence, Max Milo). Cosigné avec Maryvonne Bréant, l’ouvrage défend l’hypothèse d’une mission d’espionnage réalisée pour le compte de la France, par le truchement d’une société écran, et dont l’épilogue dramatique, au large de Port Saïd, aurait été étouffé par les autorités.

Insuffisance de preuves

Plusieurs zones d’ombre laisseraient en effet planer le doute sur l’hypothèse d’une panne mécanique et sur la nature réelle de la mission sur laquelle avait été engagé Gilbert Bréant, en détachement de l’armée. L’avocat et la veuve du pilote égrènent les éléments troublants du dossier, tels la complicité de la hiérarchie militaire pour le détachement saugrenu du pilote, le parcours curieux de l’aéronef, des rapports contradictoires sur les circonstances de sa disparition, une mystérieuse rencontre du pilote avec George Pompidou en amont de la mission, et même jusqu’à des morts suspectes. Un témoignage de l’ambassade de France à Chypre mentionnerait notamment que l’avion aurait été «abattu par l’armée égyptienne».

Pour Bertrand Salquain, partisan de la thèse d’une opération clandestine, la piste d’un mitraillage de l’aéronef de Gilbert Bréant par l’aviation israélienne serait également envisageable, la région du Sinaï occupé étant alors une poudrière, dans les années qui séparent la guerre des Six Jours (1967) de la guerre du Kippour (1973).

Renvoyée au tribunal de Nantes, l’affaire a été examinée le 11 mars. Au cours de l’audience, le rapporteur public a relevé les contradictions du ministère des Armées, mais a également pointé du doigt l’insuffisance de preuves démontrant que Gilbert Bréant avait bien été missionné par l’État, sous le statut de «collaborateur occasionnel du service public». Une carence reprise par le jugement du tribunal administratif, qui a observé le manque «d’éléments probants au soutien de leurs allégations». «Il en faut plus pour décourager Madame Bréant et ses enfants dans leur quête de vérité», a réagi Me Bertrand Salquain, en annonçant faire appel de la décision d’ici les prochaines semaines.