Qualité de l'air, inégalités sociales… Quel bilan pour les zones à faibles émissions ?
Les ZFE, c'est fini ? Peut-être pas. Mercredi 28 mai, les députés annonçaient la suppression des zones à faibles émissions (ZFE) dans le cadre de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique. Moins de trois semaines plus tard, rien n'est moins sûr.
Alors que l'Assemblée devait théoriquement adopter la loi dans son ensemble lors d'un vote solennel mardi 17 juin, les députés macronistes ont finalement fait volte-face et annoncé qu'ils voteraient contre. De quoi, compte-tenu de leur poids dans l'hémicycle, suffire à faire rejeter le texte.
Et ce sont justement les ZFE, ces périmètres où sont interdits les véhicules les plus anciens et les plus polluants pour limiter la pollution de l'air, qui cristallisent les tensions. Les "supprimer, c'est hors de question !", a résumé sur France 3 Roland Lescure, député Renaissance et ancien ministre chargé de l'Industrie et de l'Énergie.
En France, les ZFE ont été initiées en 2019 puis étendues en 2021, 24 sont actuellement effectives avec des réglementations diverses. Lille ou Bordeaux n'interdisent ainsi la circulation qu'aux voitures trop vieilles pour bénéficier d'une vignette Crit'Air, soit celles qui polluent le plus. D'autres interdisent les véhicules jusqu'aux vignettes Crit'Air 4 et 5. Certaines villes, comme Paris, Lyon ou Montpellier, vont plus loin, et bannissent aussi les Crit'Air 3. Tous avec leur lot d'exceptions.
Ce n'est pas une spécificité française. En 2023, on dénombrait 315 ZFE en Europe, situées notamment en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Autriche ou encore au Royaume-Uni.
Mais derrière cette mesure à visée écologique, de nombreux opposants dénoncent un procédé profondément inégalitaire. Les ZFE pénaliseraient les ménages les plus modestes, plus susceptibles d'avoir un véhicule concerné par les interdictions et sans les moyens financiers de le remplacer, et les ménages ruraux, qui ont davantage de difficultés à se passer d'un véhicule. Ces zones "créent une forte blessure sociale", critique le député Rassemblement national (RN) Pierre Meurin, rejoint par le groupe de La France insoumise qui évoque un "dispositif injuste". Alors, entre bienfaits écologiques et justice sociale, quel bilan dresser de ce dispositif ?
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Des effets positifs sur la pollution de l'air
C'était le principal objectif de ces zones à faibles émissions : diminuer la pollution de l'air, dont le secteur des transports est l'un des premiers responsables. Et là-dessus, elles semblent avoir fait leurs preuves, aidant à diminuer à la fois les émissions de particules fines et celles d'oxydes d'azote, deux polluants issus de la combustion des carburants relâchés dans l'air depuis les pots d'échappements.
Dans son dernier rapport publié en janvier, Airparif, l'organisme qui surveille la qualité de l'air en Île-de-France, estime ainsi que sur la baisse de 32 % d'émissions de particules fines dues au trafic routier enregistrée entre 2017 et 2023, trois points sont directement attribuables à la ZFE. Le reste étant dû au renouvellement naturel du parc de véhicules et à une baisse des distances parcourues. Toujours selon les données d’Airparif, les émissions d’oxydes d’azote dues au trafic routier ont quant à elles diminué de 42 % entre 2017 et 2023 dans la métropole parisienne. Et six points seraient directement attribuables à la ZFE.
Même constat à Lyon. Depuis 2019, les émissions d'oxydes d'azote ont été réduites de 22 % et celles des particules fines de 11 %, notamment grâce à la ZFE, selon les données d’Atmo, observatoire de la qualité de l’air de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Dans les agglomérations de Paris et de Lyon, "la concentration de dioxyde d'azote a été réduite de plus d'un tiers" depuis la mise en place des zones à faibles émissions, confirmait fin mars la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
Il est encore "un peu tôt pour étudier l'impact réel des ZFE dans l'ensemble des agglomérations françaises où elles sont déployées", reconnaît Charlotte Liotta, chercheuse en économie de l'environnement à l'Université autonome de Barcelone. "Mais toutes les études menées en Europe montrent cette même tendance avec une réduction de la pollution de l’air dès la mise en place de ZFE."
À Berlin et Munich, les ZFE ont significativement réduit les concentrations de particules fines, jusqu’à -10 % à proximité d’un axe routier", note ainsi une étude comparative de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). "À Madrid : les 24 stations de mesures de la capitale ont révélé une réduction d'oxydes d'azote de 23 % à 34 % par rapport aux niveaux d’avant la ZFE", peut-on encore lire.
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Des effets sur la santé
Et cela semble avoir des effets notables sur la santé des populations. Classées comme cancérigènes, les particules fines et l'oxyde d'azote peuvent causer des maladies respiratoires et cardiovasculaires. En France, respectivement 40 000 et 7 000 décès leur sont attribuables chaque année, selon Santé publique France.
Une étude publiée en 2022 par l’Observatoire régional de la santé et Airparif estime ainsi qu’une réduction des polluants aux seuils préconisés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) "permettrait d’éviter 7 900 décès par an en Île-de-France". Pas moins de "6 900 cas d’asthme, 590 cancers du poumon, 1 300 accidents vasculaires cérébraux (AVC)" pourraient aussi être évités.
Or, en Allemagne, "deux études ont démontré que les ZFE ont directement permis de réduire l'incidence de maladies respiratoires et cardiovasculaires et de faire baisser la mortalité prématurée liée à la pollution", note Charlotte Liotta.
Des résultats à nuancer
Malgré tout, ces bons résultats sont à nuancer. D'abord parce que toutes les ZFE ne se valent pas. "Logiquement, celles qui ont une réglementation plus stricte, comme Paris ou Grenoble, affichent des résultats plus encourageants", note la spécialiste.
Selon Airparif, la nouvelle interdiction à la circulation des véhicules Crit'Air 3 entrée en vigueur en janvier 2025 pourrait ainsi permettre de diminuer de 14 % les émissions d'oxydes d'azote et de 13 % celles des particules fines dues au trafic routier. Concrètement, cela permettrait de réduire de 40 % le nombre de personnes vivant au-dessus des seuils recommandés.
Par ailleurs, tout le système fonctionne grâce aux vignettes Crit'Air, ce petit macaron coloré apposé sur les pare-brise en fonction des émissions du véhicule. Problème : ces catégories ne prennent en compte que les émissions issues des pots d'échappement. Or une source non négligeable de particules fines provient d'ailleurs, notamment de l'abrasion des freins et de l'usure des pneus. "De fait, les polluants hors échappement constituent un angle mort des ZFE", note un rapport parlementaire.

Une mesure inégalitaire
Reste à questionner l'impact social de la mesure. Si le bilan écologique semble positif, les ZFE portent-elles préjudice aux populations les plus précaires, comme le craignent certains élus ?
"Là encore, le débat va se trancher au cas par cas", note Charlotte Liotta. "Dans tous les cas, les premiers bénéficiaires vont être les habitants des ZFE, qui vont respirer un meilleur air. Mais en fonction des villes et de leur sociologie, cela concerne des franges différentes de la population."
Par exemple, note la spécialiste, ce sont majoritairement les plus riches qui bénéficient de la ZFE à Paris car ce sont eux qui vivent dans le centre et qui sont les plus pénalisés par la mauvaise qualité de l'air. C'est l'inverse à Bruxelles, où ce sont surtout des populations plus modestes qui en profitent, car elles vivent dans la ZFE.
Mais globalement, "ce sont les plus modestes qui en pâtissent", reconnaît-elle, "car ils possèdent davantage de vieux véhicules polluants et habitent plus loin des transports en commun ou de leur lieu de travail".
Dans une étude qu'elle a menée, Charlotte Liotta a ainsi analysé l'impact des ZFE sur l'accès aux emplois dans huit villes françaises. "Et nos recherches ont démontré que les employés et les ouvriers sont les plus impactés par une perte d’accessibilité à l’emploi à cause des ZFE", note-t-elle. Pour une raison simple : "Les trajets domicile-emploi sont devenus plus longs."
Mais ces inégalités ne sont pas forcément la preuve qu'il faut supprimer les ZFE, plaide la spécialiste. "Cela montre surtout qu'elles doivent aller de pair avec des mesures d'accompagnement. En premier lieu, l'amélioration des transports en commun et l'accessibilité des logements", préconise-t-elle. "Il faut un ensemble de solutions plus large que les ZFE. Malheureusement, cela n’a pas été pensé."