À Nantes, les commerçants «en grande difficulté» face aux nombreux travaux du centre-ville
L’équation à laquelle sont confrontés, à Nantes, certains petits commerçants du centre-ville tient de la quadrature du cercle. Doublement pénalisées par la conjoncture économique incertaine comme par les batteries de travaux qui entravent le nombril de l’agglomération, des entreprises se retrouvent prises au piège. Une partie se démène pour doper son activité et sauver son bilan mais se voit refuser des aides. Une autre dépose le bilan faute d’avoir touché à temps la manne publique salvatrice. Une situation qui s’aggrave de semaine en semaine de part et d’autre du pont Anne-de-Bretagne, dans l’ouest de l’île de Nantes.
Installé depuis 2022 en face de l’accès nord de cet ouvrage névralgique du centre-ville, Hoang Trinh pensait avoir fait une belle affaire en ouvrant Trott in Ride, sa boutique de location et de réparation de trottinettes électriques. Bien en vue des voitures arrêtées au feu rouge, son échoppe commençait à fidéliser une clientèle d’habitués lorsqu’il a appris que le pont comme les quais de la Fosse seraient fermés aux véhicules à compter d’avril 2024. En lien avec le chantier du nouveau CHU de Nantes, plus au sud, l’ouvrage doit être élargi en un pont-belvédère, qui fera passer de nouvelles lignes de tramway. Soit un projet à 50 millions d’euros, avec une livraison prévue en 2027. Mais cette aubaine pour le développement des mobilités dans ce secteur de la cité des ducs s’est avérée être une pilule bien amère à avaler pour les commerçants.
Perte de chiffre d’affaires
Le long des quais, le flux de voitures qui empruntait le pont s’est ainsi tari, remplacé par des ballets d’ouvriers et de pelles mécaniques. Les clients qui s’arrêtaient autrefois dans la boutique de Hoang Trinh, de préférence en fin de journée, au retour du travail, ont fini par aller voir ailleurs. Même histoire chez plusieurs commerces du quai de la Fosse. Un restaurateur a fermé ses portes en novembre. Et le business des trottinettes ne tourne plus qu’à grand-peine. «J’accuse une perte énorme de chiffre d’affaires, plus de 10.000 euros cumulés, au point où je ne peux plus me rémunérer à cause des charges qu’il me reste à payer», décrit Hoang Trinh, qui a par conséquent cherché à bénéficier des indemnisations publiques de la ville de Nantes. En vain.
Je n’étais pas éligible à ces aides, car mon siège social se trouve situé à Saint-Herblain et non quai de la Fosse, là où se trouve ma boutique
Hoang Trinh, propriétaire d’une boutique de location et de réparation de trottinettes électriques
«Je n’étais pas éligible à ces aides, car mon siège social se trouve situé à Saint-Herblain (dans la banlieue ouest de Nantes, NDLR) et non quai de la Fosse, là où se trouve ma boutique. L’administration m’indique par ailleurs n’avoir aucune preuve de mon activité, alors qu’elle avait envoyé quelqu’un m’y rencontrer, quelques semaines plus tôt !», raconte Hoang Trinh, étonné de la «mauvaise foi» ubuesque dont il s’estime être victime, malgré les factures et les justificatifs mis à disposition.
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Double peine
Président de l’Union nantaise du commerce de détail (Unacod), Jérôme Caillé estime que, dans la grande majorité des dossiers, la commission de règlement à l’amiable (CRA) mise en place par la ville de Nantes pour gérer la question des indemnisations a réalisé un bon travail. «Cette initiative, qui n’a rien d’un automatisme dans les grandes villes françaises, est à mettre au crédit de la municipalité, d’autant plus qu’elle concerne une zone assez large», indique le professionnel, qui précise que les procédures sont pilotées par la chambre de commerce et d’industrie et le tribunal de commerce.
Néanmoins, Jérôme Caillé reconnaît aussi l’extrême fragilisation des plus petites entreprises, avec des situations complexes qui peuvent varier d’une activité à l’autre. «Les commerçants nantais traversent une période très morose, en particulier depuis novembre», remarque-t-il, en notant que plus d’un tiers des commerces a connu une baisse de son chiffre d’affaires cet automne, pris en étau entre la situation macroéconomique et les réalités nantaises - composées notamment d’une boulimie de travaux aux effets délétères, en particulier pour la circulation automobile. «De jeunes commerces ont perdu leur clientèle de passage à un moment critique de leur développement, relève Jérôme Caillé. Pour peu qu’ils ne disposent pas de grosse trésorerie, ils se retrouvent très vite en difficulté. Et ils ne peuvent même pas vendre tant que le secteur est en travaux, faute d’acheteurs - c’est vraiment une double peine».
«Désillusion»
Après un été particulièrement pluvieux puis un automne catastrophique, plusieurs adresses du versant sud du pont Anne-de-Bretagne, sur l’île de Nantes, ont pareillement été malmenées. Un bar situé face à la Grue jaune se trouve en liquidation judiciaire. Et le Mana, le musée-boutique de l’affiche de Nantes, ouvert en grande pompe en 2019 face à la grue, avec le soutien de la métropole, a fermé ses portes en novembre, pour se replier sur une échoppe mieux située. Sollicité, son fondateur n’a pas souhaité réagir. Président de l’association des commerçants de la Prairie aux Ducs-Nefs, lui-même installé près du parc des Chantiers, dans l’ouest de l’île de Nantes, Jérôme Cuny est également aux premières loges des travaux. «Les aides sont utiles, mais pas automatiques», observe le professionnel qui a vu son chiffre d’affaires se replier entre 10% et 40% par mois, avec une fin de non-recevoir sur sa première demande d’indemnisation.
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«Dans mon cas, après avoir travaillé plus, rogné sur mes marges et fait tout ce qui était nécessaire pour ne pas couler, on m’a indiqué que je n’avais au bout du compte pas perdu assez.». Selon le professionnel, le cadre réglementaire de la CRA favoriserait l’indemnisation des plus gros commerces. «On n’est pas tous logés à la même enseigne. Les commerces les plus résilients - ceux qui ont des reins plus solides, une trésorerie, des actionnaires - sont favorisés car sont en capacité d’attendre une indemnisation ; là où les petits ne peuvent pas le faire. Pour moi, c’est une désillusion.»
Enfin, les fermetures de commerces en centre-ville alimentent le phénomène des friches de plus en plus visibles, qui peinent à disparaître du cœur de la cité des ducs. «Les cellules commerciales vacantes se concentrent sur quelques rues et suscitent un effet boule de neige. C’est pourquoi nous essayons d’inciter la mairie à davantage accompagner les jeunes ou à imaginer des baux plus souples», note Jérôme Caillé. En attendant, les travaux du pont Anne-de-Bretagne se poursuivent. Et avec eux, le malaise des commerçants.