Maréchal, Bardella, Bellamy : ces électeurs qui hésitent face à trois nuances de droite pour les européennes

«Marion , Bardella , Bellamy ... J’ai des affinités avec ces trois nuances de droite». À la veille du scrutin des européennes, Nathalie, 56 ans, n'a pas tout à fait choisi quel bulletin elle va glisser dans l'urne ce dimanche 9 juin. Cette électrice qui se dit de droite «classique, plutôt LR», regrette que ce parti «continue dans la caricature de la droite qui ne veut surtout pas être à droite». Pour elle, la réalité exige de «sortir de cette stigmatisation de l'extrême droite». Ainsi tente-t-elle de peser le pour et le contre entre les listes Les Républicains (LR), Rassemblement national (RN) et Reconquête, où elle retrouve, dans chacune, un peu de ses idées.

Son raisonnement est le suivant. Certes, «Bellamy fait du boulot au Parlement», et constitue «un espoir» pour la droite, «mais derrière y a le clan LR, et je n’en peux plus de leur discours macroniste». Bien que le RN ne soit «pas (s)a tasse de thé», elle trouve Jordan «brillant». «Au Parlement européen, il n'a pas fait avancer énormément de choses, mais malgré tout, ce sont les seuls à porter vraiment la question de l'immigration tout en pouvant faire barrage à la majorité. Il faut un vrai contre-pouvoir au parlement sur ces sujets-là», estime Nathalie, alors que le RN caracole à plus de 33% dans les sondages. Quant à Marion Maréchal, elle se retrouve dans ses positions sur les «valeurs chrétiennes de la France», mais la suite de la liste lui «plaît moins». «Je ne suis pas très Zemmour», résume cette mère de famille.

Choisir un nom... et une liste

Dans cette élection du 9 juin où les États membres de l’Union européenne vont élire leurs eurodéputés, la «volatilité est réelle» entre les voix potentielles pour les trois listes de droite, confirme Frédéric Dabi, directeur général opinion de l'Ifop. Cette hésitation repose sur le sens du vote plutôt que les idées, puisque le scrutin proportionnel en fait «un vote efficace, où dès la barre des 5% passée, vous permettez à un parti d’envoyer des députés au Parlement». Dans ce cadre, fait remarquer le sondeur, ce scrutin est un «pari gagnant-gagnant» pour un électeur de droite, car «soit vous votez RN et vous leur permettez d’envoyer une bonne poignée d'élus, soit vous votez LR pour avoir du poids au sein du PPE, majoritaire au Parlement, ou alors vous votez Reconquête pour faire entrer une nouvelle force politique au Parlement».

Louis*, commissaire de police et fin connaisseur de la sphère politique, avoue s’être fondé, pour sa part, davantage sur les personnalités politiques en tête de liste, plutôt que sur les programmes. «Dans une élection parlementaire, il faut compter avec les partis. Par exemple, si je vote Bellamy et que le PPE se retournait d’un coup contre le nucléaire ?». Ainsi, s’il s’était agi d’une élection présidentielle, le trentenaire aurait peut-être penché pour la tête de liste LR qui lui inspire «beaucoup d’estime et de confiance». «Mais derrière lui, il y a toute une machine peuplée de gens moins inspirants. Nadine Morano et Brice Hortefeux (respectivement en 6e et 7e positions, NDLR), ça me bloque», rejette ce commissaire de police.

Quant à Jordan Bardella, «c'est le roi de l'esbroufe», écarte-t-il. À l’inverse, il pense «qu'une Marion Maréchal, un Nicolas Bay, une Sarah Knafo (respectivement 4e et 3e sur la liste Reconquête, ndlr), croient vraiment à ce qu'ils disent et qu'ils s'y tiendront». Son vœu étant d’«empêcher que les institutions européennes nous emmènent sur des dérives à la fois sur des questions de société, sur le libre-échange, le marché unique».

Volatilité entre RN et Reconquête

Cette volatilité, «réelle», des électeurs entre ces trois listes de droite, se retrouve «moins avec LR qu'entre le RN et Reconquête», souligne toutefois le sondeur Frédéric Dabi. Le couple d’Alain et Dominique en est l’illustration. Le premier, 76 ans, ancien giscardien, se dit trop «rancunier» pour voter encore LR après leur double «trahison» : celle de Chirac «qui a pactisé avec Mitterrand pour faire sauter Giscard en 1981», et celle de la dernière présidentielle, lorsque Nicolas Sarkozy a soutenu Emmanuel Macron en pleine campagne de Valérie Pécresse pour son propre parti. «Cette droite m’a déçu», soupire Alain. Aussi, lorsque voilà deux ans son fils lui fait découvrir le livre de campagne d'Éric Zemmour, Alain y trouve exactement l'expression du désarroi et de ras-le-bol que lui inspire l’état de la France. «Sur l'immigration et la dette, ces deux sujets tabous, je retrouve exactement ce que je pense chez Reconquête», affirme le retraité. «Je vois que le pays coule. Les origines chrétiennes de l'Europe, je ne veux plus qu'on les nie. J'ai besoin de quelqu’un qui le dise haut et fort.»

Son épouse Dominique, pour sa part, est moins décidée. Issue d’une famille socialiste, cette Bordelaise n’a longtemps jamais songé à voter à droite. Déçue par le PS, elle s’est reportée sur les Verts un temps. «Puis, progressivement, en voyant cette politique d’immigration déchaînée, la dette s'accumuler, j'ai commencé à me dire : pourquoi je ne voterais pas à droite, moi aussi ?» L'affaire Nahel a été, dit-elle, la goutte d’eau. Dominique se dit donc reconnaissante à Marine Le Pen d’avoir «chassé l'image négative de son père» et fait du RN «un vote possible sans passer pour une nazie». Voilà donc le dilemme de cette jeune grand-mère branchée : dans le duo Marion Maréchal-Jordan Bardella, la première lui paraît brillante, le second lui permettrait de soutenir Marine Le Pen. À la veille du scrutin, sa décision n'est pas encore tout à fait prise. «Les deux ont un discours qui m'interpelle, mais j'ai peur que Reconquête disperse les voix», craint-elle.

L’immigration, la priorité

À travers les études effectuées tout au long de la campagne, l'Ifop a relevé la la présence prépondérante, dans les priorités des électeurs, d'une thématique de droite : l'immigration. Comme le révélait un sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro à neuf jours du scrutin, cette préoccupation est première chez les Français, devant le pouvoir d'achat, fait inédit. Béatrice, par exemple, explique que la disposition qu'elle a regardée avec le plus d'attention dans les programmes est celle de la politique de protection sociale envers les migrants. Savoir si des clandestins pourraient être plus aidés que le contribuable, avance-t-elle. La sexagénaire dit aussi vouloir en finir avec le sentiment, éprouvé parfois, «de ne plus être chez soi».

Or, les trois listes de droite lui semblent correspondre peu ou prou à cette idée. Comment se décider ? Dans ce choix cornélien, Béatrice a évincé le RN lorsque ses députés ont voté l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Une trahison pour cette chrétienne, qui place les questions bioéthiques au centre de ses choix politiques. «Bellamy, son honnêteté profonde m'attirait. Il a une forme de courage, en portant des sujets en Europe qui ne sont pas évidents», estime la sexagénaire, citant notamment son combat pour «sauver Noël» après qu'un rapport de la commission européenne préconisait de ne pas nommer cette fête chrétienne à la date du 25 décembre. «Mais il est peut-être trop bien élevé. Marion Maréchal, elle, a l'air d'avoir les mêmes convictions sociétales sur la PMA, l'euthanasie, sauf que c'est une bête politique», juge Béatrice, bien qu'elle avoue être refroidie par son deuxième de liste, Guillaume Peltier, «qui passe son temps à changer de camp».

Matthieu*, 30 ans, explique qu’après avoir longuement hésité, voter Marion Maréchal lui semble plus «stratégique». «Si Reconquête existe, cela élargira l'échiquier politique à droite, raisonne le jeune électeur. Bardella fera un très bon score, il n'a pas besoin de ma voix», croit-il savoir. En tout état de cause, ce jeune électeur se dit, pour une fois, satisfait de poser un vote «qui comptera». «Pour une fois, si on additionne les trois nuances de droite, cela donnera un grand score. C'est agréable de se dire que mes idées vont transparaître vraiment !».

*Ces prénoms ont été modifiés.