Trump et les métamorphoses du capitalisme mondial : pour une alternative politique et économique

En renforçant, dans la lignée de Biden, l’outil tarifaire dans un cadre unilatéral, les États-Unis ont engagé une rupture majeure avec le dogme du libre-échange. Trump impose désormais des surtaxes douanières de 20 % sur la majorité des exportations européennes (temporairement réduites à 10 % jusqu’en juillet). Ce tournant protectionniste, à rebours de plusieurs décennies de libéralisation commerciale, traduit une volonté claire : non plus seulement dominer l’ordre économique mondial, mais en redéfinir les règles.

Cette stratégie repose sur une triple logique. Primo, attirer les investissements directs étrangers en combinant baisses fiscales et barrières douanières — Sanofi a ainsi annoncé 20 milliards de dollars d’investissements aux États-Unis, au détriment de ses sites en France. Secundo, compenser les cadeaux fiscaux faits au capital par des recettes douanières. Tertio, structurer un rapport de force géoéconomique avec la Chine, perçue comme la seule puissance capable de contester l’hégémonie américaine.

L’Union européenne, elle, reste sans cap. Elle propose des ripostes tarifaires — 25 % sur 20 milliards d’euros de produits, peut-être étendus à 100. La France, de son côté, multiplie les déclarations sans effet. L’exécutif s’indigne, appelle à la retenue, mais laisse le CAC40 déplacer capitaux, emplois et innovation vers les États-Unis. Le ministre de l’Économie évoque de « mauvais signaux », sans jamais traduire l’alerte en actes.

Nous assistons à une transformation du capitalisme mondialisé, qui ne renonce pas à la mondialisation mais en redéfinit profondément les règles. À la fluidité des échanges succède une logique de cloisonnement, d’affrontement stratégique et de militarisation des flux. Il s’agit d’imposer un nouveau régime d’accumulation : plus autoritaire, plus conflictuel, plus instable.

Le paradigme de la compétitivité touche à ses limites. Il ne suffit plus à garantir la domination des grandes puissances économiques. Face à une Chine désormais capable d’exceller sur une grande partie de la chaîne de valeur, les États-Unis abandonnent l’idée d’un jeu à « armes égales ». Ils associent stratégies productives et politiques de force. La monnaie elle-même redevient plus que jamais un levier de coercition : Trump promeut une dévaluation du dollar et pousse les stable coins, renforçant l’influence monétaire américaine en contournant les institutions traditionnelles — y compris leur propre banque centrale. L’Europe, enlisée dans ses dogmes, reste aveugle à ces bouleversements. Elle s’accroche à une doctrine monétariste rigide, fondée sur la discipline budgétaire et l’obsession de la compétitivité-prix, sans jamais envisager l’outil du crédit comme levier de transformation écologique et sociale.

En France, cette tectonique globale se traduit par une économie organisée autour de la pénurie. Déserts médicaux, effondrement des transports, recul de l’école, disparition des services publics de proximité : autant de symptômes d’une rareté programmée, légitimée au nom de l’austérité. Ce n’est pourtant ni une fatalité, ni le fruit d’un excès de solidarité, mais le résultat de choix politiques : baisse continue de l’impôt sur les sociétés, réduction des impôts de production, niches fiscales inefficaces, privatisations déstructurantes, exonérations de cotisations sans contrepartie.

Ce modèle fiscal et budgétaire mine la puissance publique. Il érode le consentement à l’impôt et alimente la défiance démocratique. Nous alertons sur cette impasse. Le prochain débat budgétaire au parlement ne pourra continuer d’éluder ces réalités fondamentales. Il doit être l’occasion de rouvrir les discussions sur l’utilité sociale de la dépense publique et sur la justice fiscale.

Ce capitalisme reconfiguré nécessite de nouvelles formes de pouvoir pour se maintenir. Les droites extrêmes y jouent un rôle central : en court-circuitant les médiations démocratiques — syndicats, parlements, presse —, elles mettent en scène un lien direct entre un « chef » et un « vrai peuple », permettant d’imposer des réformes économiques brutales, en détournant la colère populaire vers les fractions de la société les plus exploitées et les plus dominées.

Il est ainsi urgent de sortir du faux dilemme entre libre-échange et protectionnisme. Ce couple piégé, instrumentalisé par les classes dominantes, vise à figer la mondialisation dans ses formes historiques pour mieux empêcher d’en inventer d’autres. Or, une alternative émerge déjà : autour des recompositions portées par les BRICS +, et de la volonté croissante des pays du Sud de ne plus être de simples variables d’ajustement.

C’est dans cette brèche qu’il faut inscrire une stratégie de développement commun, fondée sur la justice monétaire, la souveraineté coopérative et la mutualisation des savoirs. Face à l’hégémonie occidentale et au multilatéralisme censitaire du FMI ou de l’OMC, plusieurs jalons concrets doivent être posés :

● Abolir le franc CFA/Eco, vestige d’un ordre monétaire postcolonial ;

● Interdire progressivement l’importation de matières premières non transformées localement, pour favoriser la montée en gamme des pays producteurs et réduire les dépendances néocoloniales ;

● Renforcer l’usage des monnaies nationales et des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI dans les échanges, afin de limiter l’hégémonie du dollar et de l’euro, et construire un système monétaire international plus pluriel, plus stable et plus équitable.

● Créer un Fonds européen pour les services publics, financé directement par la BCE, pour investir dans la santé, l’éducation, le logement et les transports du quotidien — et non dans les marchés financiers ;

● Conditionner l’accès au refinancement à taux zéro de la BCE à des critères sociaux, écologiques et territoriaux, afin de promouvoir un crédit orienté vers l’emploi, la transition et la cohésion plutôt que vers la rente ;

Le temps de la tutelle et des injonctions doit prendre fin. Il faut lui opposer la réciprocité, le respect, et un engagement sincère dans la reconstruction des liens abîmés. C’est à cette hauteur de vue que la France peut retrouver une voix. Non pas celle d’une puissance nostalgique de son histoire coloniale, mais celle d’un pays juste, réellement engagé dans le co-développement.

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