«Ma maison a une odeur épouvantable de barbecue»: dans l’Aude, avec les sinistrés de l’incendie

« Des feux, j’en ai vu. Mais comme celui-là, jamais ». Mardi soir, quand il a aperçu les flammes entourant sa maison, située en bordure de garrigue à la lisière du petit village de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), Thierry, un retraité de 64 ans, n’a pas attendu que les gendarmes viennent le chercher. « J’ai tout fermé et je suis parti chez des amis, dans le village d’à côté. J’ai préféré ne pas écouter mes voisins, qui me disaient de ne pas s’inquiéter… » Quand il a pu revenir, ce mercredi, Thierry a trouvé sa façade noircie, son toit en partie défoncé. « Il y a une bouteille de gaz qui a explosé, et qui visiblement a atterri sur mon toit ». Son jardin et sa piscine sont dévastés. « Je ne sais pas encore quand je pourrai rentrer chez moi. La maison a une odeur épouvantable de barbecue ».

Cinq maisons au total ont été détruites par les flammes dans ce petit village de 800 habitants, dans le massif des Corbières, entre Narbonne et Carcassonne. Dont celle de Stella J., une retraitée de 65 ans, qui a refusé d’abandonner sa maison aux flammes. Son corps sans vie a été retrouvé dans les décombres de sa villa, en surplomb d’un lotissement au nord de la commune. « On y est allé avec les gendarmes, deux fois. Mais elle ne voulait pas quitter sa maison. À un moment, notre rôle s’arrête », déplore Xavier de Volontat, le maire de cette commune de 800 habitants.

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Quand nous le rencontrons, mercredi midi, l’élu tente de faire rétablir l’alimentation en eau potable de ses administrés. « Les câbles de l’alimentation électrique du forage qui alimente la commune ont brûlé cette nuit. On doit aussi s’occuper des problèmes de logement et d’assurance des gens ». La directrice générale des services, Aude Larousulie, a passé une nuit blanche à la mairie, à organiser hébergements et évacuations. « Une centaine de personnes ont été évacuées. La plupart ont pu rentrer chez elle entre minuit et quatre heures du matin ». Dans le foyer voisin, deux habitantes, Corinne et Francette, visiblement épuisées, veillent sur une montagne de bouteilles d’eau en plastique « amenées par les communes voisines et la communauté de communes », pour remédier au manque d’eau potable. « Le feu a complètement encerclé le village », raconte Corinne. D’autres habitants vont porter à domicile des packs d’eau et des repas aux personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer.

Un « désastre agricole et économique »

Autour du village, des collines noircies, et encore fumantes, où s’affairaient toujours, mercredi, pompiers, hélicoptère et Canadair. « On est arrivés à quatre heures ce matin », raconte Alain Blache, chef d’un groupe de pompiers du Var, occupé à éteindre une reprise de feu à flanc de colline. Ce pompier volontaire de 58 ans, qui a une longue expérience des feux, n’avait « jamais vu ou entendu parler d’un feu qui soit parti aussi rapidement. Il aurait démarré vers 16 h 50 et très rapidement, il a parcouru, 3000, 4000, 5000 ha ». Les flammes en avaient ravagé plus de 16.000, mercredi soir. Un de ses collègues, pompier dans le département depuis 20 ans, n’a lui non plus « jamais vu un feu aussi rapide, qui impacte autant de gens et d’habitations ».

Des vacanciers, aussi, ont dû être évacués. « On a vu arriver un mur de flammes. On aurait dit l’embrasement de la Cité de Carcassonne ! », s’exclame Malaury, 22 ans, cuisinière au camping de la Pinada, dans la commune voisine de Fabrezan. Les 300 vacanciers présents ont dû être évacués en urgence, mardi soir, alors que le feu menaçait de les réduire en cendres. « On a un peu paniqué. On a cru qu’on ne pourrait pas sortir le camping-car », frémit Véronique, une vacancière venue d’Angers. Avec sa famille, la sexagénaire a trouvé refuge, avec des dizaines d’autres naufragés, dans le « palais des fêtes » de la ville voisine de Lézignan. « Sur les lits de camp, on n’a pas beaucoup dormi », reconnaissent Lily et Léonie, deux adolescentes en vacances avec leurs parents dans un mobil-home. Toute la famille a fui précipitamment, en laissant derrière elle toutes ses affaires au camping. « C’était notre deuxième jour de vacances, on n’a pas eu de chance », sourit Peter, un touriste flamand de 41 ans, qui n’a pas pu rejoindre son gîte avec sa famille à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Son aîné, Elias, 15 ans, n’a pas l’air trop déçu : il montre fièrement une photo de lui en apprenti-pompier.

Depuis ce matin, on est en larmes, on est à bout. Je suis touché, mais tous les viticulteurs sont touchés. Ne nous oubliez pas. On n’est pas des sous-citoyens. On existe

Paul Berthier, un jeune viticulteur, maire d’une commune rurale touché par l’incendie

Peu après 16 heures, le premier ministre, François Bayrou, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et son second François-Noël Buffet, sont arrivés au PC sécurité des pompiers, installé près du stade de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. « On a des points de vigilance sur 90 km de lisière », lui a détaillé le commandant des pompiers, le colonel Christophe Magny. « Donc, il nous reste un gros travail à faire pour espérer le fixer demain ou après-demain ». Le maire de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse déplore un « désastre environnemental », et précise que sur les 2700 hectares de sa commune, « 2000 hectares de garrigue ont brûlé ». Il déplore aussi un « désastre agricole et économique » : 600 hectares de vignes ont été touchés, « qui ne pourront pas être vendangés ». « Monsieur le Ministre, ce que j’aimerais, c’est que vous preniez l’hélicoptère et que vous vous rendiez compte », l’exhorte Paul Berthier, un jeune viticulteur, maire d’une commune rurale touché par l’incendie. « Parce que nous, on y est passé. Et on a pleuré plusieurs fois à l’aller et au retour. Depuis ce matin, on est en larmes, on est à bout. Je suis touché, mais tous les viticulteurs sont touchés. Ne nous oubliez pas. On n’est pas des sous-citoyens. On existe ». De son côté, François Bayrou a évoqué « une catastrophe d’ampleur inédite » avant de poursuivre : « L’événement aujourd’hui, c’est un évènement qui est lié au réchauffement climatique et lié à la sécheresse ».