Protestation inédite en Ukraine après le vote d'une loi qui affaiblit la lutte anticorruption

L'image est inédite depuis le début de la guerre. Quelques heures après l'adoption d'une loi entravant l'indépendance des instances de lutte contre la corruption, des milliers d'habitants de Kiev se sont rassemblés dans le centre de la capitale, non loin du palais présidentiel, pour demander à Volodymyr Zelensky de mettre son veto à ce texte.

Malgré les protestations, le président ukrainien a promulgué la loi dans la soirée, en promettant dans son allocution quotidienne que "l'infrastructure anticorruption fonctionnera, mais sans l'influence russe". Confronté à la crise la plus sérieuse de sa gouvernance, le dirigeant est au centre des critiques après cette mesure qui constitue un recul démocratique.

Un "sérieux recul"

Adoptée par 263 voix (13 contre et 13 abstentions seulement), la loi prévoit de placer le bureau d'enquête contre la corruption (le Nabu), et le parquet anticorruption (le SAP) sous l'autorité d'un procureur, lui-même sous la tutelle du président. C'est donc, de fait, la fin de l'indépendance d'organes mis en place dans le sillage de la révolution de Maïdan, en 2014 et 2015. L'adoption de la loi intervient par ailleurs au lendemain de l'arrestation, dénoncée par des ONG, d'un responsable de ces structures, soupçonné d'espionnage au profit de Moscou.

Le président ukrainien Volodymyr Zelenski, le 9 juillet 2025. (TIZIANA FABI / AFP)
Le président ukrainien Volodymyr Zelenski, le 9 juillet 2025. (TIZIANA FABI / AFP)

Le moment est critique pour le pouvoir ukrainien, dont la décision inquiète ses alliés européens. La Commission européenne, par la voix de la commissaire chargée de l'élargissement de l'UE, Marta Kos, s'est dite "profondément préoccupée" par le vote, estimant qu'il s'agissait d'un "sérieux recul". Volodymyr Zelensky est notamment accusé de manœuvrer pour protéger des soutiens, car deux anciens ministres de son gouvernement ont été visés ces dernières semaines par des enquêtes menées par ce parquet anticorruption. Des investigations qui concernent notamment une figure majeure, Olha Stefanichyna, qui était ministre de la Justice et vice-Première ministre.

La corruption est un sujet central en Ukraine, où elle parasite le fonctionnement de l'État depuis l'indépendance. Il ne faut pas oublier que la révolte de Maïdan avait déjà pour but de dénoncer un pouvoir gangrené, et que Volodymyr Zelensky a été élu président en 2019 sur la promesse d'en finir avec la corruption. Les progrès réalisés depuis 2015 avaient ouvert la voie à la candidature de Kiev pour une adhésion à l'Union européenne, qui impose des réformes d'envergure dans ce domaine.

La crainte d'un recul majeur est donc bien réelle, mais la soirée de mardi souligne aussi la vitalité démocratique d'une société où des manifestants n'ont pas hésité à sortir dans les rues d'une capitale pourtant bombardée tous les soirs, à se rassembler pour critiquer le pouvoir, et défendre la voie du progrès. "C'est aussi ce qui nous distingue de la Russie" soulignaient des manifestants mardi soir.