Le Parlement européen a soutenu jeudi le détricotage d'une loi de 2024 sur le devoir de vigilance sociale et environnementale des grandes entreprises, lors d'un vote où droite et extrême droite ont mêlé leurs voix. Les eurodéputés ont approuvé par 382 voix contre 249 la baisse des ambitions de ce texte, en limitant le nombre d’entreprises concernées et en supprimant certaines de leurs obligations. L’extrême droite a savouré une «grande victoire» après ce vote, marqué par une alliance de circonstance avec le PPE (droite).
«Nous avons prouvé qu’une autre majorité - et une autre politique pour l’Europe - est possible. Ce n’est qu’un début», a assuré le groupe des Patriotes, présidé par Jordan Bardella. Adoptée il y a seulement un an et demi, cette loi sur le devoir de vigilance fait les frais du virage pro-business de l’Union européenne, bousculée par la concurrence de la Chine et les droits de douane aux États-Unis. Son entrée en vigueur a déjà été reportée d’un an. Mais Bruxelles voulait aller plus loin et a fait de la révision de ce texte l’un des premiers actes de sa politique de «simplification» pour alléger les charges administratives des entreprises sur le continent.
Passer la publicitéSous peine de sanctions, la loi adoptée en 2024 voulait obliger les entreprises de plus de 1.000 salariés à prévenir et remédier aux violations de droits humains (travail des enfants, travail forcé, sécurité...) et aux dommages environnementaux tout au long de leurs chaînes de valeur, y compris chez leurs fournisseurs dans le monde. Jeudi, dans le sillage des États membres, le Parlement européen a relevé le seuil des entreprises concernées, à plus de 5000 employés et plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel. Surtout, les eurodéputés ont supprimé le régime de responsabilité civile européenne, qui servait à harmoniser les obligations des entreprises et leurs responsabilités en cas de manquements. Les parlementaires ont préféré renvoyer aux législations de chaque pays.
«Machine de lobbying»
Cette simplification permet de «sauver nos entreprises de l’asphyxie normative», revendique l’eurodéputé de droite François-Xavier Bellamy. Mais les discussions ont été très difficiles avec le centre et les sociaux-démocrates. Mercredi soir, ces groupes dits pro-européens avaient renoncé à trouver un compromis, laissant la porte ouverte à cette majorité alternative avec l’extrême droite qui faisait jusqu’ici office d’exception. Après ce vote, les négociations vont s’engager avec les États membres, en vue d’une adoption définitive de la loi revue et corrigée. Mais aux yeux des écologistes et des organisations environnementales, le texte est désormais «vidé de sa substance».
Le processus «déraille complètement», fustige Swann Bommier, de l’ONG Bloom, qui s’en prend aux «lobbies industriels» et à la «machine de lobbying de l’administration Trump» aux États-Unis. L’absence de responsabilité civile européenne risque d’introduire «une concurrence entre les 27 États membres pour savoir qui a le régime le plus laxiste pour essayer d’attirer des entreprises», met-il en garde. Au nom de la lutte contre la bureaucratie, le chancelier allemand Friedrich Merz et le président français Emmanuel Macron avaient appelé à supprimer purement et simplement cette loi. Mais même si elle n’est que sabrée, la pilule est difficile à avaler pour une partie des parlementaires qui avaient célébré son adoption «historique» en avril 2024 après plusieurs années de bras de fer au sein même des institutions européennes.
Les superlatifs ne manquaient pas à l’époque, y compris chez les macronistes, dont la présidente actuelle du groupe centriste Valérie Hayer (Renew). Les eurodéputés présentaient cette directive comme une réponse à la catastrophe de Rana Plaza, du nom de l’immeuble abritant un atelier de confection de prêt-à-porter au Bangladesh qui s’était effondré en avril 2013, faisant 1130 morts. Mais les équilibres politiques ont changé dans l’hémicycle depuis les élections de juin 2024, marquées par le renforcement de la droite et la percée de l’extrême droite, prompte à combattre le «pacte vert», la batterie de mesures environnementales adoptées lors du précédent mandat.