Le fleuron tricolore des pneumatiques sort le bouclier. Ce vendredi, au lendemain de la diffusion sur France 2 d’un numéro de «Complément d’enquête» consacré aux aides publiques accordées aux entreprises, Michelin «rétablit les faits» et défend sa présence dans l’Hexagone. L’occasion, également, de dénoncer les «partis pris du reportage».
Diffusée jeudi soir, l’émission rappelle que le groupe a pu utiliser, à partir de 2015, des fonds obtenus grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour acquérir huit machines flambant neuves, dans son usine de La Roche-sur-Yon, fermée en 2020. Or, selon «Complément d’enquête», Michelin a alors envoyé dans ses manufactures étrangères ces outils achetés grâce à de l’argent public français. «Au total, 4,3 millions d’euros d’argent public ont été consacrés à l’achat de ces outils industriels», chiffre le programme. Quelques semaines plus tard, l’entreprise lui a confirmé que les machines sont bel et bien parties à l’étranger, dans «différentes usines de production de poids lourds en Europe».
Pour Michelin, le CICE «a permis de maintenir autant que possible le niveau de compétitivité des usines, notamment face à la très forte pression concurrentielle asiatique», sans pour autant sauver les activités fragilisées. Les aides sont aussi distribuées sans aucune condition ni fléchage, souligne l’entreprise. Sur le cas spécifique des machines à La Roche-sur-Yon, le groupe indique que deux machines ont été transmises sur un site espagnol avant la fermeture de l’usine, et les autres sont parties ensuite. «Sur ce dossier, bien que le cadre légal du CICE n’impose aucun remboursement ni fléchage contraignant, Michelin s’est d’ores et déjà rapproché des services de l’État pour préciser les modalités de remboursement volontaire du gain équivalent au crédit d’impôts», ajoute-t-il. Et de préciser que, plus largement, les différentes aides perçues restent inférieures à la «contribution fiscale totale du groupe en France, qui s’élève à plus de 220 millions d’euros en 2023», ainsi qu’aux «1,5 milliard d’euros de masse salariale de Michelin dans l’Hexagone».
Des décisions qui assurent «la pérennité» de l’entreprise
Dans la même émission, Michelin est également accusé d’avoir fait «le choix de délocaliser la production» réalisée à Cholet et Vannes à l’étranger, en 2024. Selon un syndicaliste cité lors du programme, l’entreprise a condamné de longue date le premier site, préparant ainsi la suppression de nombreux emplois. Une attaque «fausse», rétorque le groupe, pour qui ces décisions «inéluctables» ont été prises sur la base d’un «motif économique». L’effondrement des «marchés du poids lourd et de la camionnette», d’une part, et la «baisse très significative de la compétitivité industrielle» tricolore ont conduit ces usines au bord du gouffre, plaide Michelin. Les salariés concernés ont été accompagnés, et «il n’y a eu aucune création de nouveaux sites de production à l’étranger pour remplacer ces usines. Seule la production résiduelle et de faible volume de ces sites a été répartie sur trois usines existantes : en France à Golbey, en Italie à Cuneo et en Pologne à Olsztyn. [...] Parler de délocalisation est une simplification totalement abusive», se défend la firme.
Les syndicats accusent par ailleurs le groupe d’avoir licencié de nombreux salariés alors même qu’il enregistrait, en 2024, 1,9 milliard d’euros de bénéfices et reçu quelque 140 millions d’euros d’aides publiques. «Des choix qui sont d’une certaine rationalité économique et financière, mais qui, humainement, sont insupportables», cingle l’avocat des salariés, maître Jean-Louis Borie. Or, l’entreprise rappelle que ce haut niveau de bénéfices n’est pas obtenu dans l’Hexagone, mais dans le monde entier. En France, «les activités industrielles du groupe sont déficitaires. [...] Il est donc injuste et inexact de relier directement les bénéfices globaux à la situation industrielle française, qui reste fortement sous pression», rétorque-t-elle, citant les «problèmes structurels de compétitivité» qui fragilisent l’industrie tricolore.
Le président de l’entreprise, Florent Menegaux, s’était déjà défendu sur ces différents points face à la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, cette année. Cholet «était arrivé en bout de cycle», et Vannes a été victime de la concurrence étrangère, plaidait-il. «La fermeture des sites assure la pérennité à long terme de l’entreprise. Elle est la meilleure utilisation de nos actifs», ajoutait l’homme d’affaires. Il avait également déjà évoqué un possible remboursement des aides publiques, en mars dernier, estimant que «l’on devrait être capable de rembourser si le CICE n’a pas servi pour les machines restées en France». «Ce ne serait pas anormal qu’on les rembourse», insistait-il. Les sénateurs appelaient Bercy à se montrer particulièrement vigilant sur ce point, afin de s’assurer que les fonds reviendraient bien dans le portefeuille de l’État, comme promis.