En Belgique, la diffusion en différé du discours d’investiture de Donald Trump par la RTBF vire au scandale politique

En Belgique, la polémique autour de la retransmission en différé de deux minutes, lundi 20 janvier, du discours d’investiture de Donald Trump, président des États-Unis démocratiquement élu, par l’entreprise publique RTBF (Radio-Télévision belge de la Communauté française) vire au scandale politique. «Je leur ai écrit pour demander la méthodologie qui avait été utilisée et sur quels critères juridiques ce choix reposait. Je ne remets pas du tout en cause le cordon sanitaire, je suis contre tous les extrémismes. Mais je pense que ça pose question et donc j’attends des réponses que j’espère avoir rapidement», a déclaré ce vendredi la ministre (Mouvement Réformateur) wallonne de la Fonction publique et des Médias Jacqueline Galant au micro de La Première, radio de la RTBF. 

«Pourquoi avoir pris cette décision alors que ce discours est retransmis en direct partout ailleurs dans le monde ?», a-t-elle poursuivi. Et d’ajouter : «Je m’interroge sur [le] fonctionnement [de la RTBF]. Quel est son périmètre ? Est-ce qu’il s’applique au monde entier ? Pourquoi ne s’applique-t-il pas à tous les extrêmes ? Qui décide qui est d’extrême droite et qui ne l’est pas ? La confiance dans les médias traditionnels est dramatiquement basse, ces zones d’ombre n’améliorent pas les choses», a conclu la ministre.

«La direction de l’information de la RTBF n’est pas le Ministère de la censure et de la propagande», fustigeait sur X le jour de la prestation de serment de Donald Trump le sénateur et président du parti Mouvement Réformateur Georges-Louis Bouchez.

«Prendre le temps de l’analyse»

Dès lundi soir, Aurélie Didier, directrice éditoriale adjointe de l’information à la RTBF avait justifié ce choix. «Nous avons constaté à plusieurs reprises que Donald Trump a tenu des propos racistes, d’extrême droite, xénophobes, d’incitation à la haine également. Nous avons décidé de diffuser son discours en léger différé pour prendre le temps de l’analyse, avait-elle expliqué, en direct, elle, juste avant la diffusion du discours d’investiture du républicain. C’est une pratique que nous appliquons depuis de nombreuses années. Il permet d’éviter de banaliser de tels propos. Il ne s’agit certainement pas de censure.»

Depuis le début des années 1990 en Belgique, les médias audiovisuels francophones ont effectivement institué un «cordon sanitaire» au travers duquel ils s’engagent à ne pas donner la parole en direct à des partis ou des personnalités politiques dont les idées seraient racistes ou antidémocratiques. Les journalistes des rédactions continuent à parler d’eux, mais les propos rapportés sont contextualisés et vérifiés. 

La liberté d’expression ne peut être confondue avec l’obligation, pour les médias, de diffuser toutes les opinions.

Conseil de déontologie journalistique belge (CDJ)

Son instauration s’est concrétisée à l’issue du «Dimanche noir», le 24 novembre 1991, lorsque le parti d’extrême droite Vlaams Blok (l’actuel Vlaams Belang) avait réalisé une importante percée électorale aux élections législatives et fait son entrée au Parlement, devenant même la première force politique à Anvers, retrace La revue des médias de l’INA. Au conseil d’administration de la RTBF, «cette décision est passée comme une lettre à la poste», se souvient l’un de ses vice-présidents de l’époque, Michel Henrion, auprès de l’INA. Maintes fois attaqué, le dispositif est validé par un arrêt du Conseil d’État en juin 1999.

«Les rédactions sont seules responsables»

«Le Conseil supérieur de l’audiovisuel recommande alors aux radios et télés privées de s’aligner sur la pratique du service public. Et en 2012, le gouvernement de la Communauté française de Belgique transforme même cette recommandation en obligation pour les médias audiovisuels», retrace l’Ina. Ce «cordon» sera ensuite adopté par la presse écrite.

Cette particularité belge est définie et encadrée par le Conseil de déontologie journalistique belge : «[La] liberté [d’expression] ne peut être confondue avec l’obligation, pour les médias, de diffuser toutes les opinions. De fait, dans l’exercice de leur fonction, les rédactions sont seules responsables (...) et, ce faisant, doivent respecter les règles de déontologie journalistique. Ces limitations n’empêchent pas l’exercice de la liberté d’expression puisque les mouvements et formations antidémocratiques ont la possibilité de s’exprimer en dehors des médias.»

Le CDJ recommande d’ailleurs «que le refus d’accès direct à l’expression concerne des candidats, listes, partis, mouvements… que les rédactions identifient comme liberticides ou antidémocratiques, ou dont elles constatent que leur programme ou leur discours entre en contradiction avec les lois réprimant le racisme, le sexisme, la discrimination ou le négationnisme». De même, «la motivation de cette décision est indispensable, tout comme l’est l’information au public. Si la décision est prise la rédaction doit en avertir le public et lui en communiquer les raisons.» En ce sens, la RTBF semble avoir suivi les recommandations du Conseil de déontologie journalistique belge. 

Réplique politique

À dessein, la Société des journalistes (SDJ) de la RTBF a publié, jeudi, un communiqué réaffirmant son indépendance éditoriale. «En application [des textes de lois], la RTBF a bien diffusé les propos de Donald Trump, en intégralité (...) mais pas en direct. En se basant sur les nombreux propos déjà tenus par le président américain, l’analyse juridique a conclu qu’il y avait un risque que Donald Trump tienne des discours contenant des incitations à la discrimination, à la haine, à la violence basée sur de nombreux discours déjà tenus par le président américain», est-il écrit.

Par la suite, précise l’INA, le «cordon sanitaire médiatique» s’est par exemple appliqué au parti fondamentaliste Islam en raison de son programme politique qui contrevenait au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis 1993, ce «cordon sanitaire médiatique» trouve sa réplique politique, les partis traditionnels refusant toute collaboration avec une formation ou un mouvement antidémocratique ou extrémiste, les empêchant ainsi d’accéder au pouvoir exécutif.