Le Petit Journal Saint-Michel en liquidation judiciaire : les musiciens volent à son secours

Stéphane Grappelli, Claude Luter, Claude BollingMarcel Zanini, Daniel Barda, et beaucoup d’autres. Tous les grands du jazz y ont tapé le bœuf depuis plus d’un demi-siècle. Le Petit Journal Saint-Michel a brutalement baissé le rideau. Un après -midi de la semaine dernière, les musiciens programmés jusqu’au milieu du mois de mars ont reçu un appel de Mehmet Terkivatan, le propriétaire des lieux, pour annuler leur prestation. Il sortait du tribunal et annonçait à ses correspondants que la liquidation judiciaire du Petit Journal venait d’être prononcée avec exécution immédiate.

Deux mois plus tôt, lors d’une première convocation, il avait obtenu un sursis pour tenter de redresser les comptes. Un sursis qui n’a pas été prolongé par une Cour qui l’a toutefois autorisé à faire appel de cette décision. L’avocat n’a pas hésité un instant avant d’entreprendre la démarche.

Mehmet Terkivatan ne nie pas la réalité de grosses difficultés financières qu’il met sur le compte d’événements qu’il n’avait pas prévu lorsqu’en 2018,il a racheté l’établissement à son fondateur, André Darmon. Entre 2019 et aujourd’hui, il a successivement fait face aux manifestations des gilets jaunes, à la pandémie et à d’importants dégâts dans la salle, dus à onze fuites d’eau dans les canalisations de la cour de l’immeuble abritant l’établissement. Ils ont entraîné des semaines de fermeture dans une salle capable de recevoir pour dîner 100 personnes cinq soirs par semaine. Il espérait rebondir avec un remboursement rapide des assurances, mais des expertises particulièrement complexes ont entraîné des débats entre les compagnies et différé les règlements. 

À l’annonce de la sentence, les musiciens se sont immédiatement mobilisés : ils n’imaginent pas voir un jour transformé en fast-food ou en marchand de fringues, un lieu qui a accueilli toutes les légendes du jazz. Alain Schmidt, un psychothérapeute qui, à la sortie de son cabinet, assure la guitare et le violon dans « The Big Blues Theory » et Jacques Benhamou, un ancien notaire, chef du « Five O’Clock Jazz Group » ont été les premiers à réagir. Depuis plusieurs décennies, ils se produisent une à deux fois par mois dans cette cave légendaire devant les enfants, voire les petits-enfants de leurs premiers spectateurs. Dans leur esprit, il n’est absolument pas question que l’aventure s’arrête.

Alain Schmidt a ainsi proposé la création d’une Fondation du Petit Journal Saint-Michel. Elle permettrait de réunir les fonds nécessaires au recouvrement de la dette, puis à la relance de l’établissement, à travers de nouvelles activités culturelles. Les statuts sont prêts. Ils vont être déposés dans les jours à venir, à l’issue d’une réunion des musiciens. Mehmet Terkivatan a promis d’y assister. Il estime avoir fait le maximum et, désireux de passer à autre chose, il a d’ores et déjà donné son accord pour céder le bail à cette Fondation, moyennant un euro symbolique. Dans la foulée, des appels à la générosité seront lancés à des mécènes mais aussi à des habitués qui, en fonction de leurs dons, recevront un certain nombre d’invitations pour assister à des concerts, les soirs de leur choix.

En parallèle, des démarches vont être entreprises auprès du ministère de la Culture et de la mairie de Paris, dont les services sont susceptibles d’acheter les murs, et de les préserver à jamais. Des contacts sont également prévus avec l’UNESCO, dont les statuts prévoient , à partir de certains critères, une participation financière à la sauvegarde du patrimoine immatériel. Parce que ses classiques se transmettent d’une génération à l’autre, le jazz, mérite d’y figurer. Une évidence aux yeux mais surtout aux oreilles de ceux qui ont entrepris ce combat.