Les bruits de frappes se sont tus à Téhéran. Mais une guerre sourde, menée par le régime lui-même, lui succède. Ce mercredi, deux jours après le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran décrété sous la pression du président américain Donald Trump, les médias d’État iraniens ont diffusé le bilan des arrestations depuis le début des frappes israéliennes. Un chiffre qui sonne comme un avertissement : plus de 700 personnes arrêtées au cours de la «guerre des 12 jours» pour des liens supposés avec l’État hébreu. Il est reproché aux interpellés, entre autres actions, «la direction et le contrôle de micro-avions et de drones suicides, la fabrication de bombes artisanales, la prise de photos de centres militaires sensibles et l’envoi d’informations à l’armée israélienne», précise l’agence de presse Fars, proche du Corps des gardiens de la révolution islamique.
Mercredi matin, trois Kurdes ont été exécutés à Urmia, près de la frontière avec la Turquie. L’agence de presse Mizan, rattachée au pouvoir judiciaire, a précisé que Idris Ali, Azad Shojai et Rasoul Ahmad Rasoul, ont été reconnus coupables de «coopération avec le régime sioniste» (nom donné à l’État hébreu) dans le cadre du meurtre d’un ingénieur du nucléaire iranien en 2020. «La sentence a été exécutée ce matin (...) et ils ont été pendus», a annoncé l’agence.
Appels à la délation
Derrière le ton laconique du communiqué, la menace est claire. Au lendemain du conflit ouvert inédit entre Israël et l’Iran, les autorités iraniennes ont lancé une véritable chasse aux sorcières sur le territoire. L’opération israélienne «Rising Lion», avec des assassinats ciblés de têtes des gardiens de la révolution, a révélé l’étendue de l’infiltration du Mossad au plus près du commandement militaire. Le régime a été ébranlé dans ses bases, affaibli par les frappes sur son arsenal nucléaire et balistique et par les appels, y compris de Benjamin Netanyahou, à saisir sa liberté. «Le réseau d’espionnage du régime sioniste est très actif dans le pays», rappelle Fars news, l’un des médias d’État iraniens. Dans ce contexte, la traque aux «espions» ne fait que commencer. Au lendemain du cessez-le-feu, le parlement iranien a voté une nouvelle loi pour «intensifier la punition de l’espionnage et des collaborateurs avec le régime sioniste et les gouvernements hostiles», notamment les États-Unis.
«Tous ceux qui se sont réjouis publiquement des frappes israéliennes, qui sont montés sur les immeubles et ont montré leur joie, sont évidemment les premiers à être ciblés», explique Emmanuel Razavi, grand reporter et spécialiste de l’Iran. Le reporter a reçu des témoignages faisant état de contrôles par les forces armées, notamment sur les checkpoints routiers, avec des saisies des téléphones portables. Tout appel ou échange avec l’étranger est considéré comme suspect. «Mais le régime iranien a aussi des systèmes qui permettent de scanner les conversations et appels sur Whatsapp. Tous ceux qui ont appelé leurs proches à l’étranger pour se féliciter de l’attaque israélienne sont en danger», alerte Emmanuel Razavi.
Le régime va jusqu’à faire appel à ses propres citoyens pour traquer les suspects. Mercredi matin, les Iraniens ont reçu sur leur téléphone un message signé des services de communication du ministère du Renseignement appelant à la délation. «Cher compatriote, tout en vous remerciant sincèrement pour votre vigilance et votre assistance responsable (...) dans l’identification des mouvements suspects d’éléments perturbant la sécurité, nous vous demandons de continuer à signaler les cas suspects aux numéros 110, 113 et 114 ou aux canaux officiels annoncés sur les services de messagerie nationaux», disait le SMS.
Des exécutions
La peur des frappes a ainsi laissé place à la psychose. Dans la société civile, des rumeurs font état de plusieurs arrestations de figures de l’opposition. Mais les informations sont confuses, les autorités de Téhéran ayant limité l’accès à Internet sur tout le territoire. Le 19 juin, les proches du rappeur Toomaj Salehi, déjà incarcéré et libéré fin 2024 pour «propagande contre le régime» à travers ses chansons, véritables pamphlets anti-régime, alertaient sur son arrestation. Selon son avocat français, Me Dylan Slama, l’artiste aurait été relâché depuis. Un autre rappeur, Daniel Moghadam, qui appelle dans ses chansons le «peuple iranien» à se «tenir prêt» et se «réveiller», serait, lui, toujours détenu après avoir été interpellé ces derniers jours.
«Le rythme des arrestations ne va pas se calmer», augure Hilda Dehghani-Schmit, activiste iranienne vivant en France, qui redoute «des milliers d’arrestations et des actes de sauvagerie de la part de l’appareil judiciaire» dans les prochaines semaines. Les bassidjis, hommes chargés de la sécurité intérieure, ont été aperçus armés de kalachnikovs au lieu de leurs matraques ou armes de poing habituelles. Une présence «faite pour dissuader, tout en sachant qu’ils ont reçu l’ordre d’empêcher toute tentative de rassemblement, quelle qu’elle soit», précise l’activiste.
La société civile s’alarme aussi du déplacement de prisonniers politiques, depuis la fameuse prison d’Evin - où sont incarcérés les deux derniers otages français - vers de mystérieuses destinations. Parmi eux figure le médecin irano-suédois Ahmad Reza Jalali, emprisonné depuis neuf ans et condamné à mort pour espionnage. L’urgentiste aurait été transféré vers un autre centre de détention, le «Greater Tehran Penitentiary», selon Amnesty International qui redoute une «exécution imminente».
Car le rythme des exécutions, sur fond d’accusation d’espionnage à la solde d’Israël, est aussi monté d’un cran. Depuis le début de la guerre dite «des 12 jours», au moins dix personnes ont été exécutées par la République islamique selon l’ONG Iran Human Rights. Outre les trois Kurdes exécutés mercredi, qui se trouvaient dans le couloir de la mort pour «espionnage» avec «l’état sioniste», la république islamique avait annoncé les exécutions dimanche et lundi de deux hommes accusés d’être des agents du Mossad