Birkenstock, les coulisses de la fabrication d’une sandale orthopédique devenue icône de mode
Rue de Sèvres, au cœur du quartier de Saint-Germain-des-Prés. À gauche, une grande bibliothèque en bois foncé accueille les différentes paires de Birkenstock, dans un magasin au sol et aux murs de béton ciré clair. Difficile d’imaginer que cette seconde boutique parisienne, à mi-chemin entre le minimalisme d’un Apple Store et la minéralité d’une marque de cosmétique végane, puisse présenter des sandales si longtemps raillées.
Mais depuis une dizaine d’années, la Birkenstock est devenue le comble du cool. « C’est une forme de rébellion en fait », analysait Jean-Paul Gaultier au sujet des sandales, dans le documentaire d’Arte « Birkenstock. C’est moche mais ça marche » (2019). Unisexe avant l’heure, son aspect disgracieux avait été adopté par la marque elle-même dans sa stratégie de communication, notamment avec sa campagne « Funny looking Birkenstock sandals », en 1985. Mais les collaborations, les stars et les défilés ont renversé aujourd’hui le message, moins disruptif qu’avant.
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LA CLAQUETTE DE TOURISTE DEVENUE LE COMBLE DU CHIC
Initialement objet culte des mouvements contestataires ou marginaux comme celui des hippies, la paire de sandales fait son apparition comme objet de mode dans le Elle anglais en 1985, puis dans le sacro-saint Vogue US en 1992. Un an après, Kate Moss, Naomi Campbell et les autres mannequins de Marc Jacobs défilent lors de la Fashion Week, Birkenstock aux pieds. La marque s’empare de ce tournant luxe en 2003, lors de sa première collaboration officielle avec la mannequin allemande Heidi Klum, qui propose des modèles à clous et à paillettes. D’autres partenariats avec des maisons haut de gamme suivent, comme Dior ou Valentino très récemment. Une percée dans les plus hautes sphères de la mode, consacrée par le groupe de luxe LVMH (via le fonds L Catterton) qui rachète Birkenstock en 2021.
L’arrivée de Birkenstock dans ce quartier parisien chic consacre son changement de statut, quand elle était auparavant synonyme de touristes allemands aux chaussettes montantes. Nulle envie pour autant de renier cette identité d’outre-Rhin. Les « Birk » sont toujours entièrement made in Europe, fabriquées quasiment intégralement en Allemagne, dans six sites de production. Une exception pour une entreprise de cette taille, qui tient à se plier aux strictes règles d’exigence qualité du pays de Goethe, tout en conservant un vaste bassin d’emploi local. Même si une grande partie est mécanisée, chaque paire passe entre les mains expertes d’une cinquantaine de personnes, qui effectuent assemblage et contrôle.
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Si la fabrication des semelles est tenue aussi secrète que celle du Coca-Cola, Birkenstock défend néanmoins un circuit de production écoresponsable, avec, par exemple, du liège issu de forêts gérées de manière durable. Avant que le groupe ne devienne ce géant coté en Bourse que l’on connaît aujourd’hui, les membres de la famille, focalisés sur l’importance d’offrir les chaussures les plus confortables du monde, ont souvent eu du mal à vivre de leur métier, victimes des différentes crises qu’a traversé l’Allemagne. Pouvoir y conserver ses usines en 2025 est une fierté.
UNE FAMILLE DE CORDONNIER DEPUIS LE XVIIIe SIÈCLE
En effet, jusque dans les années 1980, les chaussures de la marque étaient vendues quasi exclusivement dans les magasins orthopédiques, mettant en avant des semelles, puis des souliers qui permettent de « marcher comme la nature l’a voulu ». Un contrepied aux escarpins et autres chaussures de ville, véritables entonnoirs dans lesquels on devait faire rentrer ses extrémités endolories. Tout repose sur le concept de « lit pour pied », (fussbett, en allemand), enregistré comme marque déposée en 1925, mais présent depuis des décennies dans les archives de la famille éponyme. Birkenstock, c’est l’histoire d’une bonne idée, réappropriée, réinventée sur plusieurs générations.
On retrouve la première trace d’un Birkenstock cordonnier en 1774, aïeul de Konrad, qui invente en 1897 la semelle orthopédique flexible, la première du marché. Ce n’est plus le pied qui s’adapte à la chaussure, mais l’inverse. Un concept repris par son fils Carl, qui théorise toutes les idées de son père, puis par son petit-fils Karl, plus pragmatique que son père et son projet de « chaussure idéale », qui reprend la semelle de son grand-père, à laquelle il ajoute une lanière de cuir pour en faire une sandale. Simple soit, mais incontestablement confortable. Homme de son temps, Karl comprend aussi l’importance du marketing et délaisse les schémas scientifiques complexes au profit de campagnes publicitaires où apparaissent les longues jambes de mannequins aux orteils vernis. Visionnaire, il lance, dès les années 1960, divers slogans vantant l’hybridité des Birk, faites pour la maison comme le bureau. Des campagnes qui ont pris tout leur sens avec la pandémie et l’avènement du télétravail, soixante ans plus tard, qui ont transformé nos habitudes, faisant du bien-être une priorité. Comfort is the new chic ?