Guerre Israël-Iran : à qui Téhéran vend-il encore sa production abondante de pétrole ?
À l’échelle planétaire, l’Iran est un géant pétrolier. De quoi expliquer les préoccupations des observateurs, après que Téhéran a été la cible de frappes américaines dans la nuit de samedi à dimanche - même si les prix du pétrole n’ont que peu réagi ce lundi. L’Iran se classe en effet en 2023 comme le troisième détenteur mondial d’or noir, et comme le quatrième plus grand producteur de pétrole de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole), selon l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) américaine. Fin 2023, le pays représentait 24% des réserves pétrolières du Moyen Orient, et 12% des réserves mondiales. La plupart de son stock reste utilisé par le pays lui-même : « Si l’Iran produit 3,7 millions de barils par jour, il en consomme lui-même environ 2 millions», précise Philippe Chalmin, économiste et historien spécialiste des matières premières.
Malgré ces importantes réserves, le pays voit sa production menacée par les sanctions internationales imposées par les États-Unis et l’Europe, en raison de sa politique d’enrichissement nucléaire. Ainsi, tout pays achetant du pétrole à l’Iran est soumis à des sanctions américaines. Et depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, la pression ne fait que monter : «Tout pays ou toute personne qui achète quelque quantité que ce soit de pétrole ou de produits pétrochimiques iraniens sera soumis immédiatement à des sanctions indirectes», a menacé le président américain le 1er mai dernier sur son réseau Truth Social.
À cause de ces sanctions internationales, «aucun trader international ne va travailler sur du pétrole iranien», note Philippe Chalmin. Toutefois, des pays moins regardants des sanctions occidentales continuent de se tourner vers Téhéran. La Chine achète ainsi 90% des exportations de pétrole brut iranien et de condensats - des hydrocarbures liquides récupérés lors de l’extraction de gaz - selon l’EIA, avec des volumes s’élevant à environ 1,5 million de barils par jour. Ce sont des petites raffineries chinoises indépendantes, aussi appelées «teapots», principalement situées dans la province du Shandong, dans l’est du pays, qui achètent la majeure partie de la production. Différents facteurs incitent la Chine à se tourner vers l’hydrocarbure iranien : d’abord car elle le paie moins cher, en raison des sanctions internationales, puisqu’elle bénéficie grâce à cela de remises sur le prix de base. Mais aussi car elle n’utilise pas le dollar et «n’est pas trop sensible aux sanctions américaines», décrypte Philippe Chalmin.
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Stock flottant et bateaux «fantômes»
La Syrie faisait aussi partie jusqu’à récemment des clients de l’Iran, mais les exportations vers le pays auraient cessé avec la chute du régime de Bachar el-Assad, précise Dalga Khatinoglu, analyste spécialiste de l’économie iranienne. L’Iran fournit par ailleurs des condensats au Venezuela, en très petites quantités (moins de 10.000 barils par jour), qui servent de diluants au pétrole extra-lourd du Venezuela. En échange, Caracas envoie une partie de son pétrole lourd à l’Iran, en guise de paiement, précise l’IEA. On retrouve également les Émirats arabes unis parmi les petits acheteurs, le pays servant de hub de transbordement. Une partie de l’hydrocarbure iranien y est traitée ou stockée avant d’être réexportée. Au total, un million de barils ont été exportés vers les Émirats arabes unis en 2023, selon le média The Crude Truth.
En 2023, les compagnies pétrolières iraniennes ont ainsi généré environ 53 milliards de dollars de recettes nettes de leurs exportations de pétrole. Un niveau équivalent à celui de 2022, et en hausse par rapport à 2021. Mais la majorité de ce trafic étant illicite, des moyens de contournement ont été mis en place. «Le pétrole est exporté à 100% par voie maritime», explique Philippe Chalmin. Afin de contourner les sanctions, «les Iraniens entretiennent un stock de pétrole, dit flottant, estimé à une trentaine de millions de barils, qui se trouve au large de la Chine ou de Singapour. Une grande partie de ces tonnages sont transbordés de tanker à tanker au large de la Malaisie. Ils deviennent alors du transport malaisien».
Une autre méthode utilisée est celle de la flotte dite «fantôme», composée d’environ 400 bateaux, qui échappe à la surveillance et donc aux sanctions économiques. «Environ 40% du pétrole est exporté par cette flotte grise», estime Philippe Chalmin.
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Le rôle crucial du détroit d’Ormuz
Afin de livrer cet or noir, un passage est capital : le détroit d’Ormuz. Celui-ci joue un rôle crucial : un cinquième de la production mondiale de pétrole passe par cet étroit passage maritime de 55 kilomètres, qui rapproche les côtes d’Oman de l’Iran. Alors que le conflit avec Israël s’intensifie, Téhéran a brandi la menace d’une fermeture de ce détroit.
Mais une fermeture ne plairait à personne dans la région, car ce lieu est stratégique pour les principaux acteurs pétroliers, notamment le Qatar, premier exportateur mondial, ou encore les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Et cela ne ferait pas non plus les affaires de la Chine, premier client pétrolier de l’Iran. L’Iran elle-même se verrait directement impactée, puisque la quasi-totalité de ses exportations de pétrole sont destinées à Pékin. «La Chine ne donnera jamais son feu vert pour qu’il y ait une fermeture du détroit», estime Philippe Chalmin. Des solutions alternatives existent toutefois, comme un passage par la mer Rouge pour le pétrole venant d’Arabie saoudite. Mais la présence des Houthis y est une menace directe. Ces plans B prendraient néanmoins plus de temps et coûteraient plus cher.