"Ici, les gens meurent de faim" : à El-Fasher, un habitant raconte le quotidien des civils assiégés

La ville d’El-Fasher, capitale du Nord-Darfour, est assiégée par les Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR) depuis mai 2024. La ville est privée d’aide humanitaire et la population sur place se retrouve coupée du reste de la région, sans accès aux denrées alimentaires essentielles, aux soins médicaux ni aux services de base.

"Les civils à El-Fasher ne trouvent rien pour remplir leur estomac"

La rédaction des Observateurs a réussi à contacter un habitant vivant à El-Fasher. Nous avons décidé d’anonymiser son témoignage afin d’éviter tout risque de représailles. Il nous a raconté son quotidien dans une ville assiégée.

"Ici, les gens meurent de faim. Aujourd’hui, je n’ai moi-même pas pris de déjeuner car il n’y a pas d’approvisionnements alimentaires.

Je prends des pilules comme l’oméga-3 et d’autres vitamines telles que la vitamine C à cause du manque de légumes frais.

Nos corps et poids ont changé drastiquement à cause d’une alimentation irrégulière. 

Depuis plus de deux semaines, les civils à El-Fasher ne trouvent rien pour remplir leur estomac, et les habitants mangent de l’amba. Ce sont les résidus de cacahuètes qui restent après l’extraction de l’huile, c’est pour les animaux. 

Nous mangeons cela parce qu’il n’y a rien d’autre. "

Cette photo publiée sur X le 28 juillet 2024 montre une habitante d’El-Facher tenant dans ses mains de l’ambaz, les résidus de cacahuètes utilisés comme fourrage pour animaux. Des habitants de la ville, dont notre Observateur, disent que la population affamée est obligée de consommer l’ambaz pour survivre. ©X / TurtleYusuf

 

Plusieurs sources confirment à la rédaction des Observateurs que certaines personnes à El-Fasher en sont réduites à consommer de la nourriture pour animaux.

Le prix des denrées alimentaires restantes a explosé depuis le siège de la ville, rendant la plupart des derniers produits disponibles complètement inaccessibles pour la population.

"Un sac de viande coûte maintenant entre 4 milliards et 7 milliards de livres soudanaises [entre 1 200 et 2 100 euros, ], impossible à acheter. Les prix ont beaucoup augmenté. Mais même le prix de l’ambaz a grimpé.

En plus, il y a une pénurie de liquidités et de billets. Les paiements se font via des applications bancaires, ce qui double les prix par rapport aux paiements en espèces.

Aujourd’hui, un kilo de viande coûte deux fois plus cher via transfert bancaire qu’en liquide."

Les habitants d’El-Fasher attendent une distribution de nourriture dans une des dernières cantines communautaires. Photo envoyée le 5 août 2025.
Les habitants d’El-Fasher attendent une distribution de nourriture dans une des dernières cantines communautaires. Photo envoyée le 5 août 2025. © ©Darfur Victims Support

 

L’aide des cuisines communautaires

Dans une ville où les produits de base sont devenus hors de prix, Mohamed Alrofie tente de maintenir des distributions de repas.

"Aujourd’hui, tout le monde dépend des quelques cuisines communautaires encore actives dans El-Fasher. Nous arrivons à nous procurer de la nourriture uniquement grâce à de jeunes bénévoles qui les font entrer en contrebande depuis les villages et villes environnantes."

Post du 4 août 2025 dans le groupe Facebook géré par Mohamed Alrofie, dans lequel il rend compte des distributions de nourriture à El-Fasher.
Post du 4 août 2025 dans le groupe Facebook géré par Mohamed Alrofie, dans lequel il rend compte des distributions de nourriture à El-Fasher. © Facebook / Mohamed Alrofie

 

"Mais c’est extrêmement difficile de garantir même un seul repas par jour. À nos débuts, nous offrions trois repas quotidiens. Ensuite, nous sommes passés à deux, et aujourd’hui, nous ne pouvons servir qu’un seul repas par jour, et encore, dans des conditions très précaires.

Avant, nous proposions différents types d’aliments. Mais à présent, avec la disparition des produits sur le marché et le prix exorbitant de ceux que nous pouvons obtenir, nous nous sommes tournés vers les denrées locales, comme le sorgho et le millet, cultivés sur place. Même ces produits sont désormais épuisés."

Mohamed explique voir de nombreux cas de malnutrition sévère, notamment chez les enfants, chez qui il remarque l’apparition d’œdèmes et de kwashiorkor, un syndrome de malnutrition qui provoque une rougeur de la peau des enfants qui en sont touchés.

 

"À El-Fasher, c’est un désastre"

Selon Adam Moussa Obama, directeur de l’ONG Darfur Victims Support, 500 000 civils sont actuellement piégés à El-Fasher, sans possibilité de fuir. 

"1 400 000 civils ont déjà fui vers Tawila et Korma. Mais à El-Fasher, c’est un désastre… 

Les infrastructures internes sont complètement défaillantes : il n’y a ni nourriture, ni médicaments, ni services de santé adéquats. En plus, des pillages et des combats ont lieu dans la ville. Et les Forces de soutien rapide (FSR) assiègent la ville depuis plus d’un an maintenant.

Il n’y a aucun moyen de transport entre la ville et les autres zones. Les gens se déplacent uniquement à dos d’âne. Certains civils n’ont même pas les moyens de payer ce type de transport. Par exemple, un trajet depuis El-Fasher coûte environ 80 dollars, ce qui est énorme pour quelqu’un sans emploi ni revenus."

 

Un échange rapporté par Adam Moussa Obama en dit long sur la gravité de la situation :

"J’ai parlé avec un collègue sur place. Je lui ai dit qu’il fallait demander à une organisation d’envoyer de l’argent pour acheter de la nourriture pour les civils. Il m’a répondu : "Même si vous envoyez de l’argent, il n’y a rien à acheter sur le marché." 

En réalité, la ville d’El-Fasher est complètement à l’arrêt. Il n’y a plus de travail, plus d’emplois, plus de nourriture, plus d’aide qui entre."

 

L’aide humanitaire toujours bloquée

Le Programme alimentaire mondial (PAM) confirme l’ampleur de la crise humanitaire. Dans un rapport publié le 5 août 2025, il rappelle qu’aucune aide alimentaire n’a pu être livrée par la route depuis plus d’un an et que "la ville est coupée de tout accès humanitaire". Si l’agence onusienne continue de soutenir financièrement les habitants, "leur permettant d’acheter la nourriture encore disponible sur les marchés", le rapport précise que "cela reste largement insuffisant face aux besoins immenses dans cette ville assiégée."

Le 1er août, le PAM a reçu le feu vert des autorités soudanaises pour envoyer un convoi d’aide vers El-Fasher, mais il reste bloqué. Les FSR, qui encerclent la ville, n’ont toujours pas autorisé le passage.

 

Adam Moussa Obama, de l’ONG Darfur Victims Support, confirme cette situation : 

"Le personnel humanitaire aussi est bloqué. Par exemple, 45 véhicules du Programme alimentaire mondial sont arrêtés à Tina. Depuis la mi-juillet jusqu’à maintenant, ils n’ont pas reçu l’autorisation d’entrer."

 

En juin, un convoi conjoint des deux organisations PAM et Unicef avait été attaqué, faisant cinq morts.

 

"Toute la population d’El-Fasher est en grand danger"

Face à cette catastrophe humanitaire, Adam Moussa Obama explique que les civils, devenus les premières victimes du conflit, demandent l’arrêt des combats et la possibilité de retrouver une vie normale.

Il ajoute qu’ils réclament la protection des populations, un accès humanitaire effectif, et la reprise des salaires pour les fonctionnaires, souvent privés de revenus depuis des mois, ce qui aggrave encore leur souffrance.

 

Auprès de la rédaction des Observateurs, il alerte : 

"Toute la population d’El-Fasher est en grand danger.

Dans les jours ou semaines à venir, il n’y aura plus de nourriture du tout. À part quelques personnes liées aux milices, les civils indépendants ne soutiennent aucune des parties. 

Ils veulent simplement vivre en paix, avoir accès à la nourriture et aux soins de santé. Ils n’ont aucun lien avec ce conflit entre factions armées, mais ils se retrouvent pris dans une situation désespérée."

 

L’insécurité alimentaire touche désormais près de 25 millions de personnes, et près de 5 millions sont en situation d’urgence humanitaire, d’après le Programme alimentaire mondial. Entre janvier et mai 2025, le nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère a doublé, avec plus de 40 000 admissions dans le seul Darfour du Nord, indique l’Unicef.