Une décision de justice a enflammé la classe politique autrichienne ces derniers jours, accentuant les dissensions au sein même de la fragile coalition au pouvoir. «En Autriche, c’est un juge qui décide, pas un imam», a clamé Yannick Shetty, chef du groupe parlementaire du parti libéral (Neos) au pouvoir aux côtés des chrétiens-démocrates de l’OVP et des socialistes du SPO. Le gouvernement «mettra définitivement un terme à l’application de la charia», a promis de son côté le chef de l’OVP quand le ministère de la Justice, dirigé par les socialistes, a mis en garde dans un communiqué contre des «décisions politiques hâtives».
La controverse est née d’un litige entre deux entrepreneurs, porté, d’un commun accord, devant un tribunal arbitral privé, comme il est possible de le faire en Autriche. Avec l’accord des intéressés, l’arbitrage a été rendu en s’appuyant sur le droit islamique. Cependant, n’acceptant pas la sentence, l’un des deux hommes a saisi le tribunal public de Vienne pour la contester. Ce dernier a validé la décision au motif qu’elle ne violait pas les principaux fondamentaux du droit autrichien.
Passer la publicitéAncienne présidente de la Cour suprême et ancienne député Neos, Irmgard Griss a expliqué pour sa part ne voir «aucun problème» dans cette décision judiciaire. Dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, les parties disposent d’une marge de manœuvre relativement importante en Autriche, étant libres de choisir en l’occurrence le droit à appliquer, a expliqué la magistrate au journal de gauche Der Standard.
«Sociétés islamiques parallèles» pour le FPÖ
«La charia n’est donc pas applicable de manière générale en Autriche, mais seulement si deux parties au litige l’estiment», a résumé quand à lui sur X Gerhard Jarosch, ancien magistrat et président de l’Association des procureurs généraux, ajoutant pour sa part juger cette particularité «absurde».
La décision qui a fait polémique n’a pas manqué de faire réagir l’extrême-droite, le parti de la Liberté (FPÖ), qui a triomphé aux dernières élections législatives sans parvenir cependant à former une coalition avec l’OVP. L’épisode est le symptôme de «sociétés islamiques parallèles» et de l’affaiblissement des «forces qui refusent de se soumettre à l’islam», a fustigé un porte-parole du parti, qui souhaite légiférer contre la reconnaissance implicite de la charia par les tribunaux autrichiens dans le cadre d’arbitrage privé.
Car ce cas de figure, qui aurait pu paraître anodin «à première vue», reflète en réalité «un sentiment de malaise» face à un «processus irréversible [qui] se met en place, dans lequel la démographie joue un rôle, et où de nouvelles normes s’insinuent dans notre structure juridique et sociale, inconciliables avec elle», analyse l’éditorialiste Oliver Pink dans le quotidien conservateur Die Presse qui a consacré la Une de son édition du week-end à cette controverse (voir ci-dessus).
«Ce problème touche une société déjà sensible et préoccupée : police des mœurs dans les écoles, voiles omniprésents dans le paysage urbain, églises vides et mosquées bondées», ajoute le rédacteur en chef dans son éditorial expliquant que si l’affaire, juridiquement, n’en est pas une, elle est en revanche brûlante politiquement.