« Longue vie à Downton Abbey » : les adieux de lady Mary et lady Edith racontés par leurs actrices

En campant les sœurs rivales de Downton Abbey, Michelle Dockery et Laura Carmichael ont offert à la télévision britannique ses plus irrésistibles scènes de crêpages de chignon. Dans la vraie vie, les comédiennes sont inséparables. Inconnues du grand public au commencement de la série en 2010, elles en sont devenues les meilleures ambassadrices. Elles incarnent la relève de la garde longtemps redoutée, à la manœuvre dans le troisième et dernier long-métrage Le grand final. Ce film, plus sérieux et doux-amer que les précédents, entend apporter un point final à la saga de Julian Fellowes sur des aristocrates du Yorkshire et leurs domestiques. Avant la sortie en salle mercredi, Le Figaro a rencontré les deux actrices.

LE FIGARO - Ce film s’appelle Le Grand Final mais Une nouvelle ère , qui était le titre du second long-métrage, serait un titre qui lui aurait été comme un gant. La Grande dépression est arrivée, la banqueroute guette, Mary divorce...

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MICHELLE DOCKERY – Effectivement en entrant dans les années 1930, les choses bougent vraiment. Un nouveau chapitre s’ouvre, finalement assez plein d’espoir. Les vieilles générations passent enfin le relais à la suivante, aussi bien chez les domestiques que chez les Crawley. Cette ambiance à la Succession rencontre évidemment de la résistance chez le comte Robert, échaudé par le divorce de mon personnage et son ostracisation de la bonne société.

LAURA CARMICHAEL - L’onde de choc du divorce de Mary sur le statut et le prestige social des Crawley, l’ampleur du scandale ont été les éléments du scénario qui nous ont le plus surprises et fascinées. Cela nous a demandé un temps de réflexion et quelques recherches pour comprendre à quel point cela affecte les habitants de Downton Abbey et pourquoi cela pourrait mettre en péril l’idée que Mary prenne les rênes du domaine.

Comment expliquez-vous la popularité de Downton Abbey ? Est-ce la nostalgie d’une époque révolue où les gens se divisaient en deux catégories : les biens nés et les autres ? Le plaisir de se retrouver face à une famille cathodique rassurante et bien aimée ?

L. C. La télévision sous-estime trop le plaisir de se plonger dans une fiction où les enjeux sont réduits et ordinaires. Et parfois très peu élevés, comme quand on s’inquiète de savoir s’il faut installer une tente « enfants trouvés » à la foire du village. C’est à quoi ressemblent nos vies la plupart du temps et quand vous donnez ce type d’intrigues à des comédiens incroyables, c’est très agréable à voir. C’est détendant de voir des héros essayer de faire de leur mieux. Et lorsque soudain surgissent des enjeux de vie et de mort, la tension, les larmes sont irrépressibles.

La télévision sous-estime trop le plaisir de se plonger dans une fiction où les enjeux sont réduits et ordinaires

Laura Carmichael

Downton Abbey a déjà connu de multiples épilogues, cela a-t-il rendu ces adieux définitifs plus supportables ?

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L. C. Nous nous sentons prêtes. La série a bouleversé nos vies. Chaque année, nous y consacrions six à huit mois entre les répétitions, le tournage et la promotion. C’était un travail à plein temps, avec juste cette petite fenêtre entre deux saisons pour y glisser un autre projet. L’arrêt de la série a été une énorme rupture. Se retrouver pour les films était un merveilleux bonus, une chance de se remémorer avec les fans ce qui nous plaît tant dans Downton Abbey. Mais c’est désormais le bon moment pour nous de nous en éloigner. Nous laissons nos personnages à un bon endroit. Les fans pourront laisser cavaler leur imagination, s’ils le souhaitent, ou profiter de la saga dans son entièreté.

M. D. Laura, avec qui je vais dîner la semaine prochaine, fera toujours partie de ma vie, tout comme Mary. Avec Laura nous avons développé notre propre langage secret de sœurs que personne ne comprend vraiment. C’est ce que nous ont permis 15 ans de proximité.

Nous avons dû refaire plusieurs fois les prises car nos voix se brisaient, alors que nous devions sourire !

Michelle Dockery

Quelle scène restera gravée dans votre mémoire ?

M. D. Les dernières séquences, ce moment entre Mary et Edith. Ce n’est pas un grand au revoir, elles vont se revoir dans quelques semaines. Mais pour Laura et moi, dire ces mots, « Longue vie à Downton Abbey », c’était un défi, de ne pas fondre en larmes. C’était l’un de nos derniers jours de tournage au château de Highclere. Cette bâtisse, c’est là où nous nous sommes rencontrées, devenues les meilleures amies du monde. Nous avons dû refaire plusieurs fois les prises car nos voix se brisaient, alors que nous devions sourire ! Le montage et le dernier plan, qui montre Mary faire la lecture à ses enfants et se souvenir des défunts, font planer un air de solitude. Comme si elle était épiée, écrasée de responsabilités et peut-être de chagrin. Mais Laura et moi avons une tout autre interprétation. Dès qu’elle aura à un moment à elle, elle va envoyer des invitations pour sa prochaine soirée et vous pouvez parier qu’elle va réinviter le dramaturge Noël Coward et tous ses amis gays. Pour passer du bon temps et des moments festifs.

L. C. Nous savons tous que les années 1930 ont inspiré des fêtes légendaires même si on sait où cela a mené. C’est un aperçu comme un autre de cette nouvelle ère. Notre réalisateur Simon Curtis sélectionnait les rushs qui montraient ces plans de Mary, Coward et Thomas rire aux éclats.

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Êtes-vous satisfaites de l’évolution de vos personnages ? De meilleures ennemies, Mary et Edith, qui est sortie de l’ombre de son aînée, sont passées à sœurs complices.

M. D. J’adore que les rôles d’Edith et de Mary se soient inversés. Mary voulait défier la tradition, les us et coutumes. Edith voulait s’y conformer. Désormais, Mary incarne la continuité et l’establishment et Edith est plus indépendante qu’elle ! Les tensions entre les deux avaient atteint leur point culminant à la fin de la série quand Mary avait tout fait pour saboter la nouvelle idylle de sa sœur. Les films auraient pu poursuivre dans cette direction, cela n’aurait pas pu être pire. Mais Julian Fellowes a préféré les faire mûrir. En donnant à Edith son propre avenir, en la faisant quitter Downton Abbey et en créant de la distance, cela a pacifié leur relation et je trouve ça bien plus satisfaisant. Cette belle résolution ne les empêche pas de se lancer des piques dès que possible !

L. C. Quand je regarde en arrière, Mary et Edith me font penser à des adolescentes, qui se rebiffent contre les attentes qui pèsent sur elles. Lorsque je revois nos premières saisons, je perçois cette angoisse juvénile, cette maladresse. Mary a beau être cette grande beauté, désirée par de nombreux prétendants, elle est mal dans sa peau, tout comme Edith, qui à rebours, cherche un mari. Elle désire ce qu’elle ne peut avoir. En ce sens, la modernité, les transformations sociales qui arrivent à bas bruit sont une libération, les aident à grandir et à devenir des femmes fortes. Cela compte également d’avoir une famille plus anticonformiste qu’il n’y paraît. Toute conservatrice qu’elle soit, Lady Violet a toujours soutenu, sans les juger, ses petites-filles même dans leurs incartades : liaison avec un diplomate turc, enfant hors mariage (rires).