Dans la bande de Gaza affamée, une distribution d'aide organisée par une fondation soutenue par les Etats-Unis et Israël tourne au "chaos"
Des scènes de chaos et une quarantaine de blessés. Des milliers de personnes se sont ruées, mardi 27 mai, sur un nouveau centre de distribution d'aide à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Le lieu venait tout juste d'ouvrir, créé par la controversée Fondation humanitaire de Gaza (GHF), soutenue par Israël et les Etats-Unis.
Dans la marée humaine se trouvaient des femmes et des enfants, certains à pied ou dans des charrettes tirées par des ânes, décrit l'agence de presse Reuters. Les photos de l'installation diffusées par l'armée israélienne avant son ouverture montraient un itinéraire bordé de blocs de sable et de grillages.
"Une expérience humiliante"
D'après les témoignages des déplacés, la distribution a commencé de manière "ordonnée". Mais "en raison de la foule écrasante, [les organisateurs] ont permis aux gens de se précipiter et de prendre tout ce qu'ils pouvaient", raconte à l'AFP Mohammed al-Nairab, un Palestinien sur place. "Soudain, un grand nombre de personnes ont commencé à pousser et entrer de façon totalement aléatoire", complète un autre Palestinien déplacé, Ayman Abou Zaïd. "C'était dû au manque d'aide et au retard dans la distribution, alors ils ont essayé de rentrer pour prendre tout ce qu'ils pouvaient", a-t-il ajouté.
Un autre témoin raconte à la BBC que seules 50 personnes pouvaient rentrer à la fois. "Le chaos a éclaté : les gens ont escaladé les portes, attaqué les autres et emporté toute l'aide", raconte-t-il, décrivant une "expérience humiliante". Selon la GHF, citée par l'AFP, l'affluence a été telle que son équipe "s'est repliée pour permettre à un petit nombre de Gazaouis de recevoir de l'aide en toute sécurité [avant de] de se disperser".
A un moment donné, a poursuivi Ayman Abou Zaïd, "les forces israéliennes ont commencé à tirer, le son était très effrayant, et les gens ont commencé à se disperser, mais certains ont continué à essayer de prendre l'aide malgré le danger". "Environ 47 personnes ont été blessées", la plupart par des tirs de militaires israéliens, selon le chef du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l'homme dans les territoires palestiniens. Sur des images de l'AFP, on peut notamment voir un homme ensanglanté, évacué par une charrette.
L'armée israélienne a "effectué des tirs d'avertissement"
Selon la GHF, "les opérations normales ont repris" après l'incident. De son côté, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a reconnu "une perte de contrôle momentanée" sur le site, après que l'armée israélienne a déclaré que ses troupes avaient "effectué des tirs d'avertissement dans la zone située à l'extérieur de l'enceinte", démentant avoir tiré sur la foule. "Le contrôle de la situation a été rétabli, les opérations de distribution de nourriture devraient se poursuivre comme prévu et la sécurité des troupes de l'armée israélienne n'a pas été compromise", a ajouté l'armée.
A la sortie du centre, les images diffusées par la BBC montraient une foule de personnes quittant la zone, parfois chargées de fournitures, y compris dans des cartons marqués du sigle GHF. L'armée israélienne a diffusé des photos de leur contenu : riz, sucre, farine, huile, pâtes ou encore boites de sardine. D'autres ont regretté de ne pas avoir eu accès à cette aide.
Un Gazaoui raconte au quotidien israélien Haaretz qu'aucune pièce d'identité n'était réclamée pour entrer, dénonçant "un processus qui a laissé de nombreuses personnes repartir les mains vides". "J'ai 50 ans et je suis père de cinq enfants. Je n'ai pas pu supporter la foule et je suis revenu les mains vides", témoigne-t-il.
Les Nations unies fustigent un "modèle qui ne correspond pas aux principes humanitaires de base"
Ces scènes anarchiques étaient-elles évitables ? Dans un document cité par Haaretz, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies déplorait la faible accessibilité de ces nouveaux centres de distribution. Deux ont ouvert mardi, sur les quatre annoncés à court terme dans le centre et le sud de la bande de Gaza. "De nombreuses personnes déplacées devront parcourir de longues distances en portant des charges d'environ 20 kilos. Dans les conditions actuelles, ce fardeau pèsera particulièrement sur les femmes, les personnes âgées et les blessés", peut-on y lire.
"Le modèle de distribution d'aide proposé par Israël ne correspond pas aux principes humanitaires de base. Il privera une grande partie de Gaza, les personnes les plus vulnérables, de l'aide dont elles ont désespérément besoin", a fustigé Philippe Lazzarini, responsable de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, mercredi. "Avant, nous avions 400 centres de distribution à Gaza. Avec ce nouveau système, nous parlons de trois à quatre centres de distribution, maximum", a-t-il déploré.
"C'était chaotique, indigne et dangereux"
Autant de scènes "déchirantes", a réagi le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric, alors que les Nations unies ont exclu de collaborer avec la GHF. "Nous avons vu hier les images choquantes de personnes affamées poussant contre des grillages, désespérées pour obtenir de la nourriture. C'était chaotique, indigne et dangereux", a aussi dénoncé Philippe Lazzarini.
Cet épisode intervient alors qu'Israël, qui a intensifié à la mi-mai son offensive dans le territoire palestinien, affamé et dévasté par dix-neuf mois de guerre, a partiellement levé, sous la pression internationale, le blocus total des livraisons humanitaires qu'il avait imposé le 2 mars au territoire palestinien.