Gaza Project : les images 3D des journalistes-dronistes révèlent "une horreur absolue au quotidien", selon le directeur du consortium de journalistes Forbidden Stories


 
franceinfo : Grâce à ces images prises par drone, Forbidden Stories et ses partenaires, ont créé des modèles en 3D immersifs par photogrammétrie. Qu'est-ce que c'est ? 
 
Laurent Richard : C’est une nouvelle technique qui permet de visualiser avec une très grande précision, beaucoup plus qu'avec une image satellite, les conséquences d'une guerre. On ne pouvait pas aller à Gaza, il fallait donc se rapprocher du terrain. Cette technique consiste à récupérer des images capturées par des drones. En fait, les drones tournent en cercles concentriques autour d'un même point pour offrir un maximum d'angles différents. Ces images ont été utilisées par nos différents partenaires et par nos équipes pour les modéliser en 3D et en conséquence, avoir une vision immersive dans les rues de Gaza détruites. Cela permet d'avoir vraiment une échelle beaucoup plus humaine et plus réaliste des ravages de la guerre. C’est la première fois que cette technique est employée à cette échelle sur Gaza. L’un des volets de ce Gaza Project, qui rassemblait douze médias internationaux, c'était de montrer à quel point les journalistes dronistes étaient les cibles directes de l'armée israélienne.
 
Que nous montrent ces images ? 
 
Ces images nous montrent ce qu'on verrait si on y avait accès. Elles nous montrent une destruction quasi totale de Gaza. Selon les Nations-Unies, il y a 90 % des unités de logement qui ont été détruites, 95 % des infrastructures hospitalières qui ont été également endommagées. Sur le site de Forbidden Stories ou du Monde ou de Bellingcat, on peut naviguer dans ce qui reste de ces ruines et de ces ruelles. On peut voir et comparer aussi avant et après les frappes, pour se rendre compte des ravages de la guerre. On y voit une horreur absolue au quotidien, grâce à ces images-là, un compte rendu assez précis, que les images satellites seules ne pourraient pas offrir. 
 
L’auteur de ces images est un journaliste mort dans la bande de Gaza ? 
 
Quelques jours après avoir fait tourner son drone au-dessus de ces deux quartiers de Gaza, Mahmoud Isleem Al-Basos a été tué lors d'une frappe, le 15 mars dernier. On était en plein cessez-le-feu. Il y a eu deux frappes successives de l'armée israélienne. Sept personnes ont été tuées. C’était à Beit Lahia. Ce jour-là, il était en train de tourner des images pour une fondation. On a essayé de comprendre ce qui avait pu motiver l'armée israélienne. Elle a d'abord expliqué par un communiqué qu'elle visait un groupe terroriste, qu'il y avait un lien entre un terroriste et un opérateur droniste, mais elle n'a pas cité le nom de Mahmoud parmi les cibles qu'elle souhaitait éliminer. Elle n’a pas souhaité nous en dire plus. Il y a une confusion, ou une absence plutôt de communication absolue de la part de l'armée israélienne, une impunité totale. C’est le quotidien des journalistes gazaouis. C’est aussi pour ça qu'il y a urgence à laisser entrer des journalistes étrangers dans la bande de Gaza. 
 
Êtes-vous encore en lien avec des journalistes à Gaza ? 
 
On est en lien tous les jours avec des journalistes dans la bande de Gaza. Il y a quelques semaines ou quelques mois, certains ont dû être évacués pour être soignés dans les hôpitaux en Égypte ou au Qatar. Ce gilet pare-balles marqué du mot presse dessus, qui est censé protéger un journaliste dans les zones de conflit, en réalité, dans la bande de Gaza, il les expose plus que tout. Il y a globalement une vraie guerre contre l'accès à l'information, pas seulement en ciblant les journalistes, les rédactions, mais aussi en coupant Internet et en lançant des campagnes de désinformation assez puissantes sur les journalistes pour faire croire qu'ils sont des terroristes.